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Comment j’ai retrouvé mes ancêtres ukrainiens?


Aujourd’hui, je vais parler de mes origines ukrainiennes. Du côté de mon père, qui est roumain, je n’ai pas beaucoup d’informations. En effet, l’accès aux archives n’est pas le même en Roumanie que dans mon pays natal, la France. Alors qu’en France, on peut demander tous les documents si on est un descendant de la personne, en Roumanie, on ne peut demander aucun document si on n’est pas le représentant légal ou la personne elle-même. Donc, si vous n’avez aucun lien attesté avec votre famille, cela peut être difficile. Ainsi, je n’ai pas pu retracer ma généalogie de ce côté, sauf pour mon arrière-grand-père et je vais vous expliquer comment j’ai procédé dès maintenant.

Le seul document qui pouvait m’aider à retrouver la famille de mon grand-père était son acte de naissance, malgré la pauvreté de ses informations. Dans cet acte, seule sa mère était mentionnée, sans donner le nom de son père : j’ai ainsi appris que mon nom de famille était un matronyme. Par la suite, j’ai décidé d’en savoir plus sur ses parents. En tapant le nom de sa mère sur internet, j’ai trouvé avec chance un article dans un magazine local qui parlait du village de mon grand-père pendant l’entre-deux-guerres, lorsque mon arrière-grand-mère travaillait avec son mari pour un propriétaire terrien local, autour de son moulin. Ce moment est évoqué par ces mots « Ivenița Datcu, épouse d’Ivan (Ion) Romaniuc s’occupait du potager de Liviu Basescu ».

Que pouvons-nous conclure de ces informations ? Premièrement, mon arrière-grand-mère était mariée à un homme et elle n’était donc pas seule à ce moment de sa vie. Deuxièmement, ce mari n’était pas d’origine roumaine : en effet, en indiquant entre parenthèses « Ioan » et en donnant Ivan comme prénom principal, le journal nous montre une origine slave : Ivan n’est pas utilisé dans les prénoms traditionnels roumains. De même, Romaniuc, même si on le trouve en Roumanie, dénote une origine du nord du pays : en effet, le suffixe -IUC/-ЮК est typiquement utilisé pour construire des noms ukrainiens : ce nom en ukrainien est Романюк. Ainsi, on le trouve surtout en Bucovine, en Maramureș, ou en Moldavie.

Romanian surname map: https://nume.ottomotor.ro/ro?search=Romaniuc&type=text
Ukrainian surname map, Vyzhnytsya’s Raion: 1 per 100 inhabitants: https://ridni.org/karta/%D1%80%D0%BE%D0%BC%D0%B0%D0%BD%D1%8E%D0%BA

À ce stade de mon enquête, quelques sources complémentaires étaient nécessaires pour confirmer mon hypothèse. Je m’étais souvenu que l’État roumain avait effectué deux grands recensements pendant l’entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale, et j’ai donc décidé de les demander. Après un mois d’attente, les archives roumaines ont répondu par une réponse positive et une autre négative. Le recensement des années 1930 n’a pas donné de résultat positif. Par contre, celui de 1948 oui. Sur ce recensement, j’ai trouvé de nombreux faits intéressants : premièrement, mon arrière-grand-mère a élevé trois enfants : deux filles plus âgées que mon grand-père, et mon grand-père lui-même : son âge a confirmé qu’il s’agissait de la bonne famille (je ne savais pas si mon nom de famille était courant dans cette région, j’avais donc besoin de vérifier). Deuxièmement, le nom de son mari était à nouveau mal orthographié : « Reomaniuc Ioan » mais plus d’informations ont été données. Ioan était un charpentier, âgé de 43 ans. À ce stade, une question reste sans réponse : Pourquoi un Ukrainien viendrait-il en Roumanie, aurait-il trois enfants, et ne reconnaîtrait-il pas son dernier enfant ? Il fallait trouver une réponse.

1948 census, national Archives of Romania: house number: 557.
Surname, name, age, and profession: Reomaniuc Ioan, 43 years old, carpenter.

Il fallait résoudre le problème en interrogeant les contemporains : ceux qui connaissent l’histoire de la famille, ceux qui vivent peut-être encore au sein du village, mais comment faire ? Parfois, la réponse n’est pas loin de nous : c’est ce que j’avais besoin de comprendre. Mais où ? Je devais me rappeler de qui connaissait cette histoire ? Où ai-je trouvé cette information ?

Pour répondre à ces questions, j’ai contacté les rédacteurs du journal, sans grand espoir, mais comme on dit : « il ne faut jamais abandonner » et c’est ce que j’ai fait : J’ai reçu une réponse positive du journal local, le rédacteur était en fait un ami d’enfance de mon grand-père : Quelle révélation : jamais je n’avais entendu parler de l’entourage de mon grand-père et à cet instant, j’en savais plus sur eux. Cet homme m’a dit que certains membres de ma famille vivaient encore dans le village de mon grand-père, y compris sa sœur ! J’ai décidé d’écrire une lettre à sa sœur pour lui expliquer mon cas et qui je suis, après deux mois j’ai eu une réponse de sa fille qui était heureuse de parler avec moi. Au cours de nos échanges de messages, j’ai appris davantage sur ma famille et j’ai même reçu la photographie de mon arrière-grand-mère, ce qui a été un trésor inestimable pour moi.

Pendant mes vacances d’hiver, j’étais à Bacau. J’imagine mon arrière-grand-mère vivre ici, il y a 80 ans. Ce bâtiment est l’ancienne mairie : elle est aujourd’hui abandonné mais on peut encore admirer la belle architecture, typique de la région.

C’est aussi à ce moment-là que l’énigme s’est éclaircie : toute la vérité a été révélée par ma cousine et l’a rendue plus claire : mon arrière-grand-mère a été mariée à un homme pendant l’entre-deux-guerres mais malheureusement, il est mort lors d’un accident de travail. De cette union, un enfant est né. À ce moment de son histoire, elle a été envoyée par sa belle-famille dans le nord du pays pour être la gouvernante d’un professeur à Bacău. Lorsque la guerre a commencé, la population était affamée, et la nourriture était réquisitionnée pour les soldats. Ainsi, dans cette situation, les gens se débrouillaient comme ils pouvaient. Le patron d’Ivenița a donc décidé de la vendre à un soldat soviétique pour un peu de pain. Je ne sais pas si certaines parties de son histoire sont fausses ou réelles, mais ce dont je suis sûr, c’est que c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés. Ma cousine a continué à m’en dire plus sur notre histoire familiale commune : nos arrière-grands-parents étaient revenus en Russie (c’est-à-dire en URSS, avant la Seconde Guerre mondiale, Vyzhnytsia faisait partie du royaume roumain) avant de quitter ce pays en 1945. A cette époque, un enfant est né : la sœur de mon grand-père. Mon grand-père est arrivé dans notre monde après ces événements tragiques, en Roumanie. La ville de Ioan était Vyzhnytsia (c’est-à-dire, en roumain Vijnița), selon ma cousine, une petite ville située sur la rivière Ceremuș qui faisait partie de la Roumanie pendant l’entre-deux-guerres.

A ce moment de ma recherche, mon réflexe a été de vérifier sur internet si des registres étaient en ligne pour m’aider à rechercher ma famille ukrainienne. Heureusement, le site des Mormons, FamilySearch, avait numérisé les registres de Vijnița, j’ai donc pu enquêter sur leur site. Grâce aux informations recueillies lors de mon enquête, j’ai pu cibler une date de naissance, un nom et un lieu précis. Ainsi, en consultant les registres de Vyzhnytsia et des villages environnants, j’ai pu trouver une personne qui correspondait à mon ancêtre. Cependant, j’avais un petit problème : Romaniuc était le nom de sa mère et non de son père. Mais était-ce important ? Je veux dire, mon grand-père n’avait pas le nom de son père. Pourquoi pas son père ?

Je sais, cette théorie est un peu étrange, et nous ne sommes pas habitués en généalogie à travailler avec des approximations mais plutôt avec des faits solides, des preuves avec des documents. Et bien qu’il soit le seul Ioan avec un parent Romaniuc né dans un rayon de 10 kilomètres de cette ville (c’est-à-dire que j’ai vérifié chaque registre paroissial orthodoxe dans le raion de Vyzhnytsia), comment pouvais-je être sûr que c’était le bon garçon ? Peut-être que sa famille venait d’une autre région ou d’une autre ville, il pouvait être né pendant un voyage. Tout était possible… Donc, en ajoutant cet individu, j’ai pris un risque. Je ne suis pas sûr à 100% que cet homme soit de ma famille mais si on résume ce que j’ai dit jusqu’à présent, voici mes preuves :

  • Le nom de famille de mon arrière-grand-père est Romaniuc : un nom ukrainien que l’on retrouve dans le nord de la Roumanie, en Moldavie et en Bucovine.Vijnița est une ville en Ukraine et plus précisément en Bucovine du Nord : La partie de la Bucovine qui est devenue soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Selon le recensement de 1948, Ioan Romaniuc est né en 1903 : le seul enfant né à Vijnița avec ce nom est Ioan Medeniuc fils de Macovei et Maria Romaniuc : il est né le 28/02/1905.
  • Un test ADN a révélé une origine commune avec certaines personnes qui ont des origines bucoviniennes ou ukrainiennes, avec des noms existant dans cette région. Notamment une parenté ADN d’Allemagne comprenant les noms Romanjuk et Bojchuk, formes latinisées en Polonais des noms présents en Galicie et Bucovine.
  • Concernant le fait que mon grand-père n’avait pas le nom de son père : je pense que nous pouvons expliquer cela peut-être par la difficulté pour un soldat soviétique de vivre en Roumanie après la Seconde Guerre mondiale : peut-être était-il plus acceptable et moins préjudiciable que l’enfant n’ait pas un nom ukrainien. De ce point de vue, on peut aussi expliquer pourquoi Ioan n’a pas porté le nom de son père : un moyen de ne pas être découvert par les autorités russes ? Il est intéressant de noter que l’oncle de Ioan Romaniuc/Medeniuc, Ioan Romaniuc est mort en 1914 dans l’armée impériale austro-hongroise durant la Première Guerre Mondiale. Un hommage de Ioan à son oncle?
  • Selon les archives ukrainiennes, un certain Ivan Romaniuc vivait à Vyzhnytsia pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il était le fils d’Alex et non le fils de Macovei : Où est passé le premier ?
  • Selon les mêmes archives, aucun document concernant le mariage de mes arrière-grands-parents, ou la naissance de leur fille n’a été retrouvé.
  • Je ne pense pas que ma cousine ait pu inventer ou trouver une ville au hasard en Ukraine lorsqu’elle m’a raconté l’histoire de notre famille. Je veux dire que si elle a mentionné cette ville, c’est que nous y sommes liés : Comment pouvons-nous connaître une ville ukrainienne de 4.000 habitants sans avoir une connexion personnelle avec elle ?

A ce stade de mes recherches, le mystère reste entier. Que s’est-il passé exactement avec ces membres de la famille pendant la dernière guerre ? Peut-être ne le saurai-je jamais, ou peut-être découvrirai-je un jour la vérité mais pour l’instant, je ne peux qu’attendre et dire que la persévérance et la patience sont très importantes si l’on veut être un bon généalogiste, et que je dois les conserver si j’espère découvrir un jour la vérité. De plus, toutes les pistes doivent être explorées, même celles qui ne sont pas classiques. Un grand généalogiste se distingue des autres par ses capacités d’adaptation et par l’utilisation de sources variées.


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