Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer.
1er août 1952, 5h40 du matin, coordonnées : 50 degrés, 44′ 17 » nord et 1 degré 34′ 20 » sud. L’un des godets de la drague du Pas-de-Calais II soulève un obus des eaux. Il est trop tard, rien ne peut être fait : une puissante explosion se fait entendre, la ville se réveille en se demandant ce qui s’est passé : la plus grande drague du monde vient d’exploser. Bilan : 11 morts et 6 blessés.
Cet accident me montre l’importance de la navigation pour Boulogne et les nombreuses catastrophes qui se sont produites dans cette région. En effet, selon l’édition du 08/01/1952 de la Voix du Nord : après la seconde guerre mondiale 14 bateaux ont coulé, la plupart à cause de quelques obus qui se trouvaient sous l’eau. Le Pas-de-Calais II fut le pire naufrage survenu à cette époque, de nombreuses familles ont été touchées, dont la mienne : avec la mort de Jules Paillart : l’oncle de ma grand-mère à l’âge de 30 ans.
En notant les victimes avec les journaux de l’époque, on peut établir cette liste qui nous montre les origines de ces marins, certains nécrologies ont été écrites :









La Voix du Nord 08/02/1952 (de droite à gauche et de haut en bas) :
- Henri Debris (1927-1952)
- Louis Evrard : électricien, 32 ans, marié, d’une famille de marins, déporté pendant la dernière guerre à l’âge de 19 ans.
- Marcel Flahaut, 45 ans, père de famille, d’une vieille famille de marins de Boulogne : famille Flahaut.
- Louis Gournay (1902-1952)
- Louis Leclerq : chef mécanicien, né à Ambleteuse le 01/06/1891, blessé pendant la première guerre mondiale, veuf depuis 13 ans.
- Emile Leprêtre, 36 ans, né à Etaples, marié, 2 enfants, il avait travaillé pour l’entreprise Fougerolles qu’il a quittée en avril dernier.
- Jules Merlin
- Eugène Pernaud : 47 ans, marié, maître d’équipage, il naviguait depuis la fin de ses études. Des ancêtres communs : Jean Louis Germe (1803-1878) et son épouse Flore Delpierre (1803-1883), une famille de marins et de pêcheurs de Boulogne, et une autre famille de marins : Jean Louis Germe (1779-1853) et Madeleine Mascot (1782-1859).
- Jules Paillard : 32 ans, marin, 2 enfants : l’oncle de ma grand-mère. Son décès a beaucoup affecté notre famille, notamment sa sœur, mon arrière-grand-mère qui a conservé des articles de journaux liés à ce tragique événement. De cette partie de mon arbre, ma famille vient surtout du Nord de la France : Gravelines.
- Capitaine Yves Bellec : 60 ans, marié, 2 enfants, il est né à Taulé (Finistère, Bretagne) dans une famille d’agriculteurs. Il a vécu à Boulogne pendant 25 ans.
- Louis Marie Pont (1906-1952) : autre cousin par Pierre Joachim Ledet (1790-1859) marin avec son épouse Marie Catherine Antoinette Gossin (1788-1853) de Wissant ; Antoine Ledet (1734-1812) et Marie Françoise Ledet (1737-1802) du même village de pêcheurs.
Les membres d’équipage survivants sont Camille Lugeux, Jean-Baptiste Descamps, Marcel Jegoux et Joseph Billier qui a été gravement blessé, Joseph Le Gall, Charles Bernard.



La localisation du naufrage a été montrée à l’aide de deux cartes et de la photographie aérienne de La Voix du Nord (08/02/1952) : la première carte date de 1950.
Cet accident a été entendu dans toute la ville, certains témoignages racontent que le souffle de l’explosion a projeté des corps jusqu’à la cathédrale (à environ 6 kilomètres du lieu du naufrage), mais je pense qu’il s’agit certainement d’une exagération sur la puissance de l’explosion. Cependant un journal local mentionne que la déflagration a été entendue sur 6 ou 7 kilomètres.
Cependant, cet accident a fait des victimes collatérales : ainsi, la Voix du Nord mentionne que Mlle Marie-Aimée Boulogne, la gouvernante d’Emile Leprêtre, et son frère Arsène qui était le beau-père d’Henri Debris, sont morts après avoir su que l’accident avait eu lieu. La maladie dont elle souffrait à l’époque l’a emportée lorsqu’elle a appris cette terrible nouvelle. Le village de Bellebrune a perdu 3 habitants ce jour-là.
L’accident a eu une couverture nationale : J’ai trouvé un journal du sud de la France qui parlait de cette tragédie. De plus, le préfet du Pas-de-Calais a envoyé un télégramme de condoléances aux familles. Le ministère français de l’intérieur a également donné un million de francs pour aider les familles des victimes. Les obsèques se sont déroulées en l’église Saint-Nicolas : la plus ancienne église de la ville et connue comme l’église des pêcheurs. Les cercueils étaient recouverts de drapeaux français, les premières places étaient occupées par les familles des victimes, et tous les Boulonnais étaient invités à cette cérémonie en souvenir de ceux qui sont morts pour la patrie. En effet, cet accident était une nouvelle illustration des drames causés par la guerre et notamment la Seconde Guerre mondiale qui avait touché notre ville, avec de violents combats autour et dans la ville. La Seconde Guerre mondiale et ses bombardements ont détruit environ 80% de Boulogne, c’est donc l’une des villes françaises qui a été la plus détruite à cette époque avec Brest en Bretagne. De plus, les batailles maritimes ont laissé de nombreux obus sous l’eau, ainsi, il a fallu draguer la mer pour permettre la réouverture des activités portuaires.
La drague Pas-de-Calais II lors de sa mise à l’eau à Dunkerque le 09/09/1933 : c’était la plus grande du monde à cette époque. (gallica).

La Volonté illustrée 09/09/1933:

De plus, ce naufrage nous explique, l’histoire tragique des marins qui naviguaient dans un environnement dangereux, sans savoir s’ils pourraient rentrer chez eux après la pêche en raison des dangers de la mer, très fréquents. Les historiens s’accordent à dire que l’espérance de vie d’un marin était de 10 ou 20 ans inférieure à celle d’un agriculteur à la même époque. Dans chaque ville de pêcheurs, un « Calvaire » (c’est-à-dire un mémorial pour les marins morts en mer) avait été construit pour leurs martyrs.
Ainsi, en racontant cette histoire, j’ai voulu montrer comment la généalogie et l’histoire familiale peuvent nous relier à une vue d’ensemble d’une époque. Les tragédies de marins étaient très courantes dans ma famille, et je pense pour tout le monde qui a un passé personnel lié à cette profession. Les marins étaient obligés de faire ce métier pour aider leur famille à avoir un minimum de subsistance. Les femmes aidaient également leurs maris dans leurs tâches, mais elles étaient d’abord les chefs de la maison lorsque les hommes quittaient la maison pour une longue période de pêche (généralement 1 mois ou plus). Par exemple, mon arrière-grand-mère élevait ses 8 enfants avec l’aide de sa fille aînée : ma grand-mère, lorsque mon arrière-grand-père pêchait en Islande ou au Canada. Ces familles vivaient dans la crainte d’entendre un jour de mauvaises nouvelles leur annonçant le naufrage du bateau de leur mari, de leur frère ou de leur père.
Comme le chantait Renaud : » C’est pas l’homme qui prend la mer mais la mer qui prend l’homme « .
Une réponse à “Le naufrage du Pas-de-Calais II”
[…] Jules Jean-Baptiste PAILLART (1920-1952), victime du Pas-de-Calais II. […]
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