Dans ce nouvel article je voudrais parler de mon Sosa 469 Madeleine Péronne Françoise Canda (déformation du nom de sa mère Quandal) ou plutôt d’une histoire, celle d’une famille dont l’Histoire avec un grand H a empêché l’existence, mais qui ne se séparera pas malgré les circonstances.
Madeleine est née un dimanche 11 mars 1782 dans la paroisse Saint-Nicolas de la ville de Boulogne-sur-Mer. Boulogne, port de pêche du Nord de la France auquel des milliers de ses habitants ont été et sont encore liés. Saint-Nicolas, paroisse de ces gens de la mer. Son baptême, le même jour, a toutefois éveillé mon attention. En effet, pour la première fois, je tombais sur une ancêtre qualifiée de « bâtarde ». Terme à connotation très péjoratif de nos jours mais utilisé par l’Eglise pour désigner les enfants illégitimes.

J’étais donc très frustré de me retrouver face à une branche dont la lignée paternelle semblait perdue. On le sait, les chances de retrouver les « pères inconnus » en généalogie sont souvent faibles. Il existe bien les déclarations de grossesse sous l’Ancien régime mais elles ne sont pas toujours systématiques et bien conservées. De plus, diverses raisons pouvaient pousser une mère à ne pas reconnaître le père de l’enfant: relation extraconjugale, incestueuse, viol, pression sociale d’un enfant né hors-mariage. Or, c’est l’Institution catholique qui enregistrait les baptêmes des enfants, soumis donc aux rites religieux et à l’union légitime, celle du mariage. Toutefois cet acte de baptême se distinguait d’autres actes d’enfants « bâtards ». Je vous laisse deviner pourquoi en lisant entre les lignes de cet acte.
Source: 5 MIR 160/4: AD Pas-de-Calais:
En effet une simple transcription nous donnerait ceci: « L’an mil sept quatrevint deux et le onze mars a eté baptisée par moi vicaire de cette paroisse soussigné madelene peronne françoise née lejourd’huy a quatre heures du matin [rayé] de madelene canda de cette paroisse et d’un pêre inconnu. Le parain a eté françois mascaut oncle de l’enfant qui a declaré ne savoir ecrire et la maraine peronne Lasalle qui a signé tous deux de cette paroisse. » Deux problèmes se posent:
- Pourquoi un François Mascot serait indiqué oncle de l’enfant? La famille Quandal n’a pas de parenté avec cette famille. Famille de marins alors que les Quandal viennent des terres du Boulonnais, de Camiers. Le vicaire semble avoir hésité en écrivant « oncle«
- La partie rayée n’est en fait pas une simple erreur, elle est longue, propre et encore lisible. On y devine alors l’inscription suivante « du légitime mariage de jean piere mascaut matelot et ». Apparaît alors un plausible père, de la même famille que François.
Pour comprendre cette hésitation, il fallait que je m’interroge sur cette famille Mascot, nom très répandu dans la marine boulonnaise. En consultant les registres de la paroisse, un acte éveilla mon attention. La même année en décembre, un acte indique qu’ « ont été chantés en cette église des services pour le repos de l’ame de jean pierre mascot […] mort au service du roi » (on notera l’erreur du nom du père, François Adrien et non Jean-Pierre). Les services sont courants pour les marins péris en mer. En l’absence de corps, l’inhumation ne peut-être effectuée dans la paroisse natale. Les matelots sont la plupart du temps jetés à la mer en cas de décès des suite d’une maladie ou, dans la paroisse la plus proche du navire si le corps a été conservé. On comprend donc que Jean-Pierre est certainement mort en opération militaire et non pas d’un simple naufrage accidentelle de son embarcation de pêcheur.
Je me dois pour cela de préciser le statut des marins sous l’Ancien régime. La marine française doit beaucoup à Richelieu puis à Colbert pour son institutionnalisation. Les marins, en période de « paix » vivent de la pêche aussi bien côtière que maritime (pêche au hareng à Boulogne). Activité mobilisant l’ensemble du ménage où les mères occupent un rôle centrale et ce jusqu’au XXème siècle. En temps de « guerre », les marins sont à la fois réquisitionnés pour leurs compétences maritimes sur les flottes royales mais connaissent aussi les attaques côtières récurrentes des nations ennemies (ce point sera développé dans d’autres articles en évoquant la vie de mon Sosa 498).
Or, 1782 n’est pas une année anodine dans l’histoire militaire française. Depuis 1775, les Etats-Unis, colonies anglaises ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de la couronne britannique, débouchant sur un conflit armée qui lui-même alimentera un conflit naval entre la France et le Royaume-Uni de 1778 à 1783. Pouvons-nous présupposer que Jean Pierre y a pris part? Pour cela, une source existe, celle des combattants français de la Guerre américaine, livre édité par le Ministère des Affaires étrangères. Page 71 on y trouve la mention suivante:

Mascot y est cité comme membre de l’équipage du Vengeur (1778-1781), sous le commandement du Chevalier de Retz, en tant que remplaçant des officiers-mariniers. Le Vengeur connu antérieurement comme le Marseillois était un navire de guerre français de 3ème ligne, équipé de 74 canons. Il participa à la guerre de 1778-1783 et rentra dans la légende pour sa reddition pendant la bataille de Prairial en 1794.

Combat du Vengeur.: [estampe] ([3e état avec la lettre]) / dessiné par Ozanne le jeune ; gravé par Le Gouaz Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (135)
Nous retrouvons donc notre boulonnais embarquait à bord du Vengeur. Même si l’inventaire indique l’état de l’équipage jusqu’en 1781, on peut présupposer qu’il en était toujours membre en 1782 et qu’il a du le rejoindre à la fin de l’année 1781 (Madeleine ayant été concue vers juin 1781). 1782, année durant laquelle le vaisseau participe du 9 au 12 avril à la bataille des Saintes en Guadeloupe qui se solde par une défaite pour la marine royale: avec des milliers de prisonniers, mort et blessés français et 5 navires capturés. Cette bataille n’est pas inconnue dans mon arbre puisqu’un autre de mes aïeux, Guillaume Dosseville y participa en y laissant sa vie. Aide-canonnier du Glorieux (navire capturé), il décède à l’hôpital militaire des Saintes le 23 avril.

Whitcombe, Thomas: The battle of the Saints 12 avril 1782.
Jean-Pierre est-il décédé au cours de cette bataille? A-t-il été fait prisonnier par la Royal Navy ou a-t-il trépassé sur le chemin du retour vers la France? Les derniers mois de sa vie sont encore flous. On sait en tout cas que sa paroisse a du être informée de sa disparition au retour de son équipage fin 1782. Des archives spécifiques comme les journaux de bord des vaisseaux seraient des pistes à explorer pour en savoir davantage. Il est également clair que la rature de son nom sur le baptême de Madeleine ne souligne pas plus l’occultation de la paternité que l’absence du père d’un enfant né hors-mariage. Pour autant, Madeleine ne semblait pas être non désirée par ses parents. La famille Mascot a en effet été présente tout au long de l’existence de leur fille. Symbole peut-être de l’amour entre deux jeunes gens nés en 1755, dont le destin a été brisé par la guerre et qui rappelle encore une fois comment le marin en épousant la mer, a fait voeu de la suivre jusqu’à ce que la mort les sépare.
La famille Mascot n’en est pas à sa première tragédie maritime. Jean-Pierre perd son père François à l’âge de 11 ans, « noyé à la mer » un 18 mars 1767. Quant à Madeleine (mère), ses parents décèdent lorsqu’elle à 12 ans et 4 ans. C’est peut-être cette absence d’entourage maternelle qui explique que l’on retrouvera les oncles Mascot de Madeleine au cours de sa vie. François, frère ainé de Jean-Pierre sera son parrain. A son mariage le 21/02/1803 avec Jean Louis Germe, ses témoins cités en tant qu’amis sont Jean Marie et (Philippe) André Mascot, en réalité deux autres frères ainés de son défunt père.

Les témoins de l’acte de mariage du 21/02/1803. Source: 5 MIR 160/33, 102/1093, AD du Pas-de-Calais
Madeleine décède le 2/08/1859 à l’âge de 77 ans, dans sa maison située 2 rue du pied Gaillard, actuelle rue de la Falaise à Boulogne-sur-Mer, dans le quartier de la Beurrière, celui des marins depuis au moins le 16ème siècle. Savait-elle l’histoire de son père, combattant des Amériques? Sa famille était-elle au courant de ce qui était arrivé à Jean-Pierre ou savait-elle seulement qu’il avait péri en mer? Ce récit c’est donc celui des familles de marins, celles qui attendent dans l’angoisse le retour d’un époux, d’un père, d’un frère parti pour une campagne plus ou moins longue: 2 semaines, 1 mois, des mois et dont le retour n’est jamais garanti. Des au revoir qui peuvent ainsi devenir des adieux définitifs.

Une réponse à “Madeleine Canda: l’absence d’un père parti combattre aux Amériques.”
une histoire comme on aime les trouver en généalogie avec un parfum d’exotisme qui fait rêver
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