Le 29 avril 1899, le petit village de Bernieulles voit se tenir la célébration du mariage de deux jeunes gens: Louis Vital Adélard Merlot et Marie-Joséphine Georgina Botman. Enfants des campagnes du Boulonnais, ayant connu les transformations et les évènements tragiques du siècle dernier, ils ont cependant réussi à les traverser en laissant derrière eux 14 enfants, au moins 33 petits enfants et bien plus encore qui se souvenaient de ce couple, figure des campagnes françaises du début du XXème siècle.
1. Aux origines familiales du couple:
Louis Vital Adélard Merlot né un 27 mai 1872 à Cormont. Il grandit dans une famille rurale. Son père, Louis Timothée François était domestique, journalier et décède à l’âge vénérable de 87 ans à Longvilliers au sud de Cormont. Sa mère, Marie Catherine Rosine Duhamel disparait lorsque Vital a 40 ans, dans le même village de Cormont. Vital a eu 9 frères et soeurs, dont 3 sont décédés en bas âge. Il a également pu connaître la majorité de ses grands-parents. A l’exception de sa grand-mère maternelle Marie Flahaut décédée en 1866, ses autres aieux ont vécu relativement âgé. Toutefois, son grand-père paternel Louis Joseph Merlot sera interné en 1880 à l’asile de Lommelet dans le Nord pour démence où il meurt l’année suivante. On retrouvera par ailleurs cet institut dans d’autres parcours de vie de ma famille.

5 MIR 241/2 852/1219, AD62.
Marie-Joséphine Georgina Botman née à Bernieulles un 16 octobre 1878. Tout comme son futur conjoint, elle est issue d’un milieu rural. Sa famille maternelle, les Magnier sont attestés sur Bernieulles depuis le début du XVIIIème siècle. Cependant, elle n’a connu aucun de ses grand-parents. Pour cause ils sont tous décédés avant sa naissance et son père est un enfant assisté de la Seine placé en 1863 dans le village de Cormont chez Jean-Baptiste Chartaux, cantonnier. Fils d’une belge immigrée sur Paris vers 1850, Arsène Botman (père de Georgina), né dans la capitale et vivra le restant de sa vie dans le Pas-de-Calais où il décède à Bernieulles en 1931 à l’âge de 80 ans sans jamais entretenir de lien avec sa mère.

2. la vie commune et la Grande Guerre (1899-1918):
Ces deux jeunes gens se marient donc un samedi 29 avril 1899. Au mariage furent présents leurs parents, François Molmy, époux de Marie Héléna Ymelda Merlot, soeur de Vital, et des amis du couple (Marcellin Lebrant, Hyacinthe Démerval, Lucien Martin). Une union marquant le début d’une vie commune longue et riche puisqu’entre 1899 et 1918 ils n’auront pas moins de 11 enfants.



3 E 116/9 226/420, AD62.
En effet, l’année 1900 voit l’arrivée du premier enfant du foyer qui comme son père se nomme Vital (1900-1969). La petite famille habite à cette date rue de Beussent, du côté est du village. A la même époque, ils vont accueillir dans leur foyer la petite Jeanne Nauzeret qui elle aussi, comme le père de Georgina, est une enfant des hospices de Paris placée à Bernieulles comme son frère ainé Oswald. En 1902, Georgina donne naissance à leur second, le petit Henri (1901-1978). Henri porte le nom de son oncle. Ce dernier décède dans des circonstances tragiques en 1904. En effet, selon sa fiche de matricule, Henri était qualifié de déserteur pour avoir manqué deux fois à l’appel des drapeaux, respectivement en octobre 1902 et début avril 1904. Toutefois, il est retrouvé mort dans le Canal de la Moyenne-Deûle à Lille accidentellement.

Après cet événement tragique, le couple voit naitre la plupart de leurs enfants avant la guerre: Zélie (1904-1987), Georgette (1905-1990), Louis (1907-1973), Emile (1909-1998), Lucien (1911-1989) et Eloi (1913-1991). Entre 1906 et 1911, le couple déménage dans le centre du village. C’est à cette dernière date qu’ils vont accueillir une autre fille des hospices de la Seine: Valentine Decarpigny. Ils s’installent ensuite définitivement rue de Cormont vers 1926, à l’ouest du village. Mais la Grande guerre va être une autre épreuve pour le couple fauchant et marquant à vie plusieurs membres de la famille.
On le sait 14-18 a été particulièrement meurtrière pour les campagnes françaises. Le recensement de 1911 dénombre 348 habitants pour le village, 17 noms sont inscrits sur le monument aux morts dont celui de Charles Botman (1892-1914), petit frère de Georgina, blessé mortellement aux combats d’Higny dans les Ardennes, il décède un jour après, le 22 août 1914 à Verdun. Sa mort lui vaudra de recevoir cette citation de guerre:
« Bon et brave chasseur. Mortellement atteint au champ d’honneur dans l’accomplissement de son devoir le 22 août 1914 à Higny. Croix de guerre étoile de bronze, médaille militaire.


A cela s’ajoute ceux qui ont aussi connu l’épreuve de la guerre mais reviennent blessés quand d’autres se sont distingués par leurs exploits:
- Elie Merlot (1886-?), frère cadet de Vital sera blessé le 30 juin 1915 aux combats d’Aix-Noulette dans l’Artois par éclats d’obus. Il obtient la citation suivante:
« A pris part bravement à tous les combats qui se sont livrés depuis 2 ans. Avait été blessé en 1915 à Noulette. » Croix de guerre.
- Georges Botman (1880-1967), frère de Georgina est blessé aux Eparges le 12 avril 1915 puis le 24 octobre 1918 à Tilloloy par intoxication au gaz.
- Alexandre Botman (1886-?), un autre de ses frères obtient une citation le 05 octobre 1917 formulée en ces termes:
« Au front depuis les débuts des hostilités, a toujours fait preuve d’initiatives et de sang froid dans des ravitaillements difficiles et dangereux, par suite de bombardements et d’émissions de gaz,notamment dans la Somme Les 9 Octobre et 4 novembre 1916″ médailles intérieurs et commémoratives françaises.
- Amédée Botman (1895-1963). Il est blessé deux fois au cours de cette guerre. Des éclats d’obus lui traversent la nuque le 22 février 1916 aux combats du bois des Caures. Après un séjour de trois mois aux hôpitaux, il reprend le combat avant d’être blessé gravement le 23 octobre 1917 par balle lui pénétrant la joue gauche et ressortant du côté droit, lui privant de plusieurs molaires mais aussi de la vue de son œil droit. Amédée a été défiguré. Cette blessure peut laisser planer l’hypothèse d’une tentative de suicide vu les circonstances. Amédée a donc été traumatisée physiquement par la Grande guerre, mais peut-être aussi psychologiquement puisqu’il finit sa vie à Marquette-lez-Lille, ville connu dans la région pour l’asile de Lommelet. Il reçoit tout de même une citation en ces termes:
« Excellent soldat très courageux, belle attitude au feu. A été blessé deux fois » Croix de guerre.
Dans ce malheur qu’est cette guerre, la famille Merlot a plutôt était relativement épargnée. Bien qu’Elie soit revenu blessé, Ernest (1884-1957) et Vital sont revenus indemnes physiquement. Vital n’a en effet effectué que 5 mois de guerre avant d’être rappelé car père d’au moins 6 enfants. Durant ce conflit, le couple donnera naissance à deux autres filles, Yvonne (1915-1991) mon arrière-grand-mère né un 9 janvier 1915 et sa sœur Suzanne (1916-1998) l’a suit. Bien que le Boulonnais a été relativement préservé par ce conflit, en n’ayant pas de combats sur son territoire par rapport à l’Artois ou au reste du Nord, il n’en demeure que les familles ont été comme le reste de la France, brisées et déchirées par cette terrible guerre.
3. L’entre-deux-guerres, et de nouveau l’épreuve de la guerre (1918-1945):
A la sortie de celle qui devait être la Der des Ders, notre couple entre dans la quarantaine. Raymonde (1920-1999), leur douzième enfant voit le jour en novembre 1920. La même année, les époux font partis des premiers couples à recevoir la médaille d’or de la famille, mise en place la même année. Honorant ces parents ayant réussi à élever 12 enfants dont 2 des hospices de la Seine. Cette médaille avait comme vocation d’encourager la natalité d’un pays meurtri par le précédent conflit.

Les années 1920 se prêtent davantage aux célébrations. Les deux derniers enfants, Solange (1922-2010) et Yvette (1923-1999) naissent. C’est donc à 45 ans que Georgina donne vie pour la dernière fois, avec 23 ans d’écart entre son ainé et sa cadette. A présent, c’est autour de leurs enfants de fonder leur foyer. Et des mariages, ils n’en manquent pas! 4 de leurs enfants (Vital, Eugène, Henri et Zélie) se marient dans cette décennie, et 5 autres entre 1930 et 1940. Si la plupart d’entre eux épousent des conjoints des campagnes environnantes ou de Bernieulles même, on peut tout de même noter deux unions propres au contexte de l’époque. En effet Lucien épouse en 1936 Hélène Szewczyk (1911- < 1989), polonaise originaire de Skotnica. Son frère Henri quant à lui épouse en 1927 Gertruda Cekanskaite (1896-1969) venue de la petite ville lituanienne de Kraziai. Ces deux unions s’inscrivent dans le contexte de l’arrivée des polonais en France pour aider à reconstruire des départements et campagnes meurtris par la guerre.

A ces migrations européennes, s’ajoutent celles de la campagne vers les villes. Si les garçons Merlot sont dans l’ensemble restés dans les campagnes, les filles terminent le plus souvent à la ville dont le centre industriel régional est Boulogne-sur-Mer grâce à l’industrie textile, les A.P.O, la pêche et l’usine de plumes métalliques. Ce destin fut partagée par l’ensemble des sœurs: Yvonne épouse mon arrière-grand-père, Maurice Rémond, forgeron de marine le 24 octobre 1936 à Boulogne. Seule Raymonde (1920-1999) épouse un calaisien Emile Cauchois (1923-1999) et part faire sa vie dans cette autre ville dynamique du Pas-de-Calais. Il s’agit donc des premières séparations de cette grande famille de Bernieulles. Malheureusement les recensements des années 30 sont indisponibles et ne permettent pas de rendre compte de l’évolution du foyer. Toutefois ces séparations vont-être accélérées par le second conflit mondial qui cette fois-ci, va profondément toucher le Boulonnais et la famille.

La bataille de Boulogne se termine le 25 mai 1940 par une défaite pour les Alliés. Pendant 4 ans, jusqu’en septembre 1944, la région va être intégré au Reichkommissariat de Belgique et du Nord de la France avec une zone interdite sur le littoral et va subir l’occupation allemande mais aussi les bombardements des Alliés. Boulogne devient une ville martyre, tout comme le Portel, Calais, et Dunkerque, autres villes pratiquement détruites en intégralité. Cette guerre dépeuple les villes de leurs habitants, fuyant les bombardements et étant évacués. Ainsi, selon Alain Lottin, Boulogne ne compte plus qu’environ 6000 habitants en juin 1944 pour une ville dont la population avant-guerre atteignait les 52 000 habitants. La famille Merlot n’échappe pas à ce destin. C’est ainsi que mon grand-père et sa mère son évacué vers la Nièvre en février 1944 probablement comme ses autres frères et sœurs habitant Boulogne ou Calais. De plus deux frères sont capturés durant ce conflit. Lucien est fait prisonnier par les allemands en janvier 1941 et est interné au Frontstalag 170 à Compiègne dans l’Oise. Henri lui est prisonnier au camp de Malines en Belgique le 21 juillet 1940. Quant à leurs parents, il est très probable qu’ils soient restés à Bernieulles durant le conflit. Les campagnes boulonnaises ont été en effet moins impactés par la guerre que les villes du littorales du fait de leur importance stratégique en vu d’un plausible débarquement dans le Nord. La fin du conflit marque celle d’une nouvelle époque. Après avoir enduré ces épreuves bousculant et forgeant la vie, nos deux « jeunes mariés » de 1899 espèrent peut-être, à plus de 70 ans, enfin trouver la sérénité.

4. Un chemin parcouru: l’après 1945 et la fin de vie (1946-1960):
En 1946, Vital et Georgina, habitant 47 rue de Cormont, vivent encore avec deux de leurs enfants: Eloi qui ne se mariera pas, et Yvette qui n’a pas encore épousé son futur marie Louis Raguenet (1924-2020). Nos deux braves, après avoir passé plus de 50 ans de vie commune, vont pouvoir commémorer l’anniversaire de leur union le 30 avril 1949. A cette occasion, un article d’un journal (non identifié) récapitule le récit de leur vie. Soulignant qu’ils ont pu « élever dignement 16 enfants dont 14 sont toujours vivants » et que ces derniers ont pu « acheter la petite maison qui les abrite aujourd’hui » où ils vivent « en cultivant un grand jardin, en ayant une vache et en faisant un peu d’élevage », symbolisant la reconnaissance des enfants à leurs parents. Une erreur c’est cependant glissée: les 16 enfants sont toujours vivants puisqu’on compte également Jeanne et Valentine, placées dans la famille pendant les années antérieures. La famille immortalise cet événement en photo. Plusieurs clichés ont été conservés par mon grand-père, seul petit-fils du côté de leur fille Yvonne et probablement que des copies ont été aussi distribuées aux autres enfants/cousins du couple. Vital et Georgina vivront jusqu’à leurs morts dans leur maison. La bâtisse, du XIXème siècle est encore visible aujourd’hui à l’entrée du village, par la route venant de Cormont.





Ci-dessus, la maison rue de Cormont au temps de Vital et Georgina, l’article de journal de 1949. La maison aujourd’hui. Photo des noces d’or des parents et de leurs enfants (en partant de Georgina: Vital, Eugène, Henri, Louis, Emile, Lucien, Eloi. En partant de Vital: Zélie, Georgette, Yvonne, Suzanne, Raymonde, Solange, Yvette). Photo des noces d’or de la famille élargie avec les petits-enfants.
Vital décède le 8 octobre 1954. Georgina le 9 juillet 1960. Ma grand-mère selon ses dires, a eu le temps de voir une ou deux fois Georgina avant son décès. Quant aux enfants, leurs vies se sont séparées avec le temps. Bien que la plupart soient restés dans la région, et ont continué à se voir comme Yvonne avez Suzanne et Eloi, certains sont partis plus loins. Yvette et son mari Louis s’installe dans la Vienne; Raymonde à Calais; Lucien à Auchel où sa fille épousera Edmond Lorek, violoniste polonais populaire dans la région; Emile dans les Vosges et Henri près d’Amiens.
D’une simple union célébrée en 1899, se déroule toute l’histoire de la première moitié du XXème siècle du Pas-de-Calais. Histoire faite de joie, de pleure, crainte et espoir mais aussi d’amour dans une famille des campagnes françaises marquée par le travail et la rudesse de la vie qui se retrouve entourée de tous ceux qu’elle chérissait probablement lors d’une réception inoubliable pour un village de 300 âmes. Cérémonie et parcours de vie qui a imprégné chaque descendant de ce couple. En retrouvant des cousins Merlot-Botman, il est toujours émouvant de voir comment cette journée du 30 avril 1949 est à la fois une date sacralisant les liens familiaux mais aussi l’une des dernières où la famille a été réunie au grand complet avant de se perdre de vue. Ainsi, une cousinade serait un beau moyen de réunir de nouveau cette grande famille…


2 réponses à “Histoire d’une vie: Vital Merlot et Georgina Botman, vivre dans les campagnes du Boulonnais au XXème siècle.”
[…] article sur la famille BOTMAN que je vous écris en vous présentant les origines du père de Georgina, ma Sosa 27 qui fut sujette à un article relatif à sa vie et celle de son mari Louis Vita… . Son père était Arsène Georges BOTMAN. Sa vie, représente un cas intéressant pour des […]
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[…] originaire. J’avais par ailleurs déjà écrit un article sur cette branche de ma famille (histoire d’une vie: Vital Merlot et Georgina Botman, vivre dans les campagnes du Boulonnais au…). Gertruda arrive donc dans un environnement très éloigné de ses origines. Son acte de mariage […]
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