22 septembre 1944, après 4 ans d’occupation, Boulogne est enfin libérée. La ville pourtant relativement épargnée lors de la guerre de 1914-1918 par rapport à cette guerre, se réveille brisée. Les nombreux bombardements tant Alliés que de l’Axe (plus de 400) l’ont rasé à 85%, 54% des immeubles sont totalement détruits, 41% partiellement et seulement 4,5% sont indemnes. La destruction systématique de la ville peut s’expliquer par son importance stratégique. Située sur les bords de la Manche, son port, tout comme ceux de Dunkerque et Calais sont des menaces directes pour une possible invasion de l’Angleterre par l’Allemagne. Les infrastructures portuaires sont donc les principales cibles de ces raids afin d’empêcher une possible invasion. Rappelons aussi que la côte d’Opale fait partie du mur de l’Atlantique, complexe militaro-défensif allemand visant à empêcher tout débarquement futur en Europe. Débarquement qui jusqu’en 1944 devait avoir lieu dans le Nord de la France pour les allemands, bernés par la désinformation des Alliés.
Administrativement parlant, Boulogne comme le reste du Nord-Pas-de-Calais a été rattaché au Reichskommissariat de Belgique et du Nord de la France. Le littoral du fait de son importance stratégique a été quant à lui classé en zone interdite. Les seuls personnes qui pouvaient s’y rendre en dehors des habitants pouvaient sous délibération de laissez-passer, en justifiant l’entrée dans le territoire.
En conséquence des bombardements, les quartiers les plus peuplés sont quasiment rayés de la carte. D’abord Saint-Pierre, situé sur la rive droite de la ville, constituant la ville basse historique de Boulogne et abritant l’ensemble de la population des marins-pêcheurs avant-guerre avec la Beurrière qui est son point le plus renommé. Située au pied du quai Gambetta, ce sous-quartier accueillait une importante partie de la population maritime, cantonnée dans quelques immeubles. Ensuite Capécure, situé sur la rive gauche, autre quartier densément peuplé de l’avant-guerre.
Bien que la plupart des boulonnais soient partis pour la Marne ou la Nièvre suite aux ordres d’évacuation allemand de juin 1944 (pour ceux n’ayant pas encore quitté la ville), la plupart y retourne après la libération. Se pose alors la question du logement et de la reconstruction d’une ville que les années d’après-guerre s’efforceront de résoudre jusque dans les années 1970.




La ville à la libération en 1945, capture d’écran de la vidéo de l’INA: Ruines de Boulogne sur Mer, Calais ; décombres de Marseille, Journal Les Actualités Françaises – 18.01.1945 – 02:17 – vidéo. Dans l’ordre on peut apercevoir différent point de vue du quartier Saint-Pierre avec les ruines de l’église Saint-Michel en fond. La dernière capture semble montrer le port et Capécure.


Fiches d’évacuation obligatoire de mes arrière-grands-parents pour la Nièvre faites en 1944. Ma grand-mère et ses parents seront eux évacués vers la Marne. Source: Archives municipales de Boulogne-sur-Mer.
1. L’urgence de la remise en état du port et les logements transitoires:
Au cours de la guerre, le port, poumon économique historique de la ville est la principale cible des bombardements. Ainsi, les premières étapes de la reconstruction visent à le remettre en état de fonctionnement. Réalisée dans le cadre du plan Vivien du nom de son architecte, elle vise également une modernisation de l’infrastructure portuaire avec l’extension des industries liées sur le secteur de Capécure qui de ce fait, doit se reconvertir. Cette remise en état est réalisée rapidement puisque dès 1947, la pêche reprend progressivement son activité. Toutefois, son minage et les obus non évacués nécessitent un long et important dragage. Le 1er août 1952, la drague Pas-de-Calais II fait naufrage par l’explosion d’une reste d’une torpille restée coincée dans un de ses godets, faisant 11 morts et 6 blessés dont Jules Paillart, mon arrière-grand-oncle.
Se pose alors le problème du relogement des populations de ce quartier qui de fait se retrouvent sans domicile tout comme celles du quartier de Saint-Pierre. Comme le rappellent Guy Bataille et Xavier Boniface dans l’ouvrage d’Alain Lottin (histoire de Boulogne-sur-Mer), « en 1946, 3 000 sans-abri vivent encore dans des caves, tandis que la mairie enregistre 7 000 demandes de logements, sans pouvoir les satisfaire« . De plus « 10 600 boulonnais doivent quitter Capécure ». Ainsi le recensement de 1946 dont les résultats ont été dévoilés le 10 mars interroge sur l’absence de certaines familles. Statistiquement parlant, la population de la ville a chuté passant de 52 371 habitants en 1936 à 34 885 en 1946. La ville ne retrouvera jamais jusqu’à ce jour son niveau d’avant-guerre. Cette chute s’explique probablement par les départs de la ville pendant le conflit mais surtout par l’installation des habitants dans les villes alentours qui dépasseront progressivement leurs populations d’avant-guerre (Outreau, le Portel, Wimille).
Ce sont donc des logements temporaires qui vont d’abord être trouvés pour les sinistrés des bombardements qui n’ont pas pu retrouver leurs habitats en 1945. Deux modèles d’habitations vont coexister à ce moment. D’une part les bungalows UK 100, du nom des nombres de pièces à assembler que comportent ces logements. D’autre part les demi-lunes dans lesquels on trouve une surface habitable de 40 m². Ces deux solutions rudimentaires mais nécessaires permettent d’accueillir de nombreuses familles et vont se diffuser dans l’ensemble de la côte ravagée. Au Portel, on trouvera des demi-lunes. A Boulogne, le Chemin Vert, limite nord de la ville relativement peu peuplée avant-guerre, sera le principal lieu d’accueil de ses nouveaux logements, avant d’être au cœur du plan de reconstruction de la ville. C’est d’ailleurs dans ce nouveau quartier que la famille de ma grand-mère sera relogée après guerre.


2. Le plan Vivien et la « nouvelle ville » de Boulogne-sur-Mer:
C’est donc l’architecte amiénois Pierre Vivien qui sera à la charge de ce projet architecturale pour redonner un visage à Boulogne. Parmi les points clés de ce plan se trouvent l’exploitation de Capécure comme complexe industrialo-portuaire (transformation des produits de la pêche), la construction d’ensembles verticaux d’habitations (dont le point culminent sera la tour Damrémont réalisée en 1973) pour gagner de l’espace et moderniser la ville, ainsi que l’exploitation du Chemin Vert comme nouvelle zone d’habitation. Exploitation qui se fait en trois étapes:
- Réalisation des logements Million sur l’emplacement des anciens bungalows UK 100 dans les années 1950.
- Construction du quartier de Transition la décennie suivante.
- Les quartiers de Triennal et Aiglon viendront compléter ce nouveau tissu urbain entre 1966 et 1969.

Ce plan pourtant ne semble pas avoir été soutenu de plein cœur par les boulonnais à son début. En effet les habitants de Capécure ont plutôt mal digéré l’idée d’une valorisation du quartier à une fin économique sans concertation avec les habitants concernés par cette décision tout comme la priorité donnée à la relance économique plutôt qu’à l’aide aux sinistrés. On a pu également entendre parfois des critiques quant à l’architecture de la ville ayant perdu de son caractère par rapport à l’avant-guerre. Critiques s’estompant par la disparition des dernières générations ayant connu l’ancienne ville, et par la préservation et la valorisation des quartiers historiques de la haute ville.
Les quais de la ville vont aussi faire l’objet d’une nouvelle valorisation. Le quartier de Saint-Pierre et le quai Gambetta accueillent à leur tour des ensembles d’immeubles permettant à un nombre important d’habitants de s’y loger avec leurs onze étages. Cette reconversion des quais ouest se prolongera jusque dans les années 90 avec l’ouverture de Nausicaá à l’emplacement de l’ancien casino de la ville.

Beaucoup de familles se retrouvent ainsi logées dans des nouvelles parties de la ville, éloignées de leurs résidences d’avant-guerre. Dans le cas de la mienne, ma grand-mère et ses parents habitaient rue du Camp de Droite avant 1945, sur les hauteurs du quartier de Saint-Pierre. Après leur retour de la Marne, ils se retrouvent d’abord dans les baraquements du Chemin Vert avant de déménager au nouveau quartier de Transition. Finalement, l’ensemble de la famille emménage définitivement à la rue Maryse Bastié pendant les années 60. Située à Capécure, elle est l’une des rares artères encore habitables de ce quartier par rapport à l’avant-guerre. Du côté de mon grand-père, sa famille réussit à conserver son logement ou du moins son adresse d’avant le conflit, située rue Leuillieux à Brequerecque.


Sources: https://www.geoportail.gouv.fr/cart et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8445934m
3. Quel héritage au XXIe siècle? Dynamiques et perspectives:
Aujourd’hui la ville de Boulogne semble continuer dans la perspective d’un port et d’un de ses quartiers Capécure comme nouveau centre de gravitation de la ville. Le déplacement progressif d’activités autour de ce secteur semble confirmer cette vision: construction de parking, cinéma, déplacement de la fête foraine des remparts vers le port etc… Le Chemin Vert quant à lui se présente comme un quartier défavorisé et fait l’objet d’un projet de rénovation urbaine. Le constat est alarmant, selon le site de la mairie, « 24 logements ne comportent pas d’eau chaude sanitaire (bâtiments P et S), et 364 logements n’ont pas de chauffage collectif (8 bâtiments) » et « les dernières réhabilitations des barres d’une hauteur en général de R + 4 ont eu lieu en 1982/ 1983 et en 1986 / 1987 dans le cadre de deux programmes PALULOS. » Les habitants de ce quartier ont des conditions et niveaux de vie bien inférieures à la moyenne de la ville. Les taux de chômage, de personnes non-diplômées, et de pauvreté dépassent largement ceux du reste de la ville. Sa remise en valeur passant déjà par une remise en état des conditions de logement est donc une priorité pour la ville puisqu’un quart de ses habitants y vivent. L’image collective associée à ce dernier a donc évolué durant ces 70 dernières années. Passant du quartier pionnier de la ville à celui relégué, en marge de celle-ci aussi bien géographiquement qu’économiquement et socialement.
Mais la ville essaye également de redynamiser son paysage en alliant modernité, histoire et art via le street-art. Depuis quelques années, Boulogne se présente comme l’une des villes de France de référence en la matière. Ce nouveau tourisme remet en valeur l’ensemble des bâtiments de la ville. Ciblant aussi bien ceux issus de la reconstruction, que des habitations plus anciennes des rues avoisinantes l’ancienne ville fortifiée. On retrouve ainsi l’ensemble de l’histoire et du folklore boulonnais illustré par cet art: loup de mer, matelotes, oeuvre de Tattegrain, Napoléon etc..



C’est donc un nouveau visage que la cité maritime nous propose en ce début de XXIe siècle, entre modernité et tradition, issu des défis posés à la libération du pays.
Sources de l’article:
- Bataille, G., & Boniface, X. 2014. Chapitre XV. Ruine et renaissance de la cité (1939-1980). In Lottin, A. (Ed.), Histoire de Boulogne-sur-Mer: ville d’art et d’histoire. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion. doi:10.4000/books.septentrion.7601
- Deboudt, P., Deldrève, V., Houillon, V., & Paris, D. 2010. Chapitre 6. Une zone urbaine sensible avec vue sur la mer : le quartier du Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais): Approche interdisciplinaire sur les inégalités écologiques et les inégalités sociales. In Deboudt, P. (Ed.), Inégalités écologiques, territoires littoraux & développement durable. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion. doi:10.4000/books.septentrion.15070
- L’habitat provisoire. (s. d.). Consulté 18 janvier 2023, à l’adresse http://lareconstructiondunpdc.univ-artois.fr/les-annees-du-provisoire/l-habitat-provisoire.phtml
- Ruines de boulogne sur mer, calais ; décombres de marseille | ina. (s. d.). Consulté 18 janvier 2023, à l’adresse https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe86002948/ruines-de-boulogne-sur-mer-calais-decombres-de-marseille
- Un quartier issu de la Reconstruction. (s. d.). Consulté 18 janvier 2023, à l’adresse https://www.ville-boulogne-sur-mer.fr/votre-mairie/grands-projets/la-renovation-urbaine/le-quartier-de-transition/145-un-quartier-issu-de-la-reconstruction