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Retour d’indexation: description d’une ville bucovinienne


Depuis 2 ans, je réalise les indexations de la ville de mon arrière-grand-père en Ukraine, Vyzhnytsia et des villages avoisinants d’où sont originaires mes ancêtres ukrainiens. Cette semaine, je viens enfin de terminer l’indexation de tous les décès de la ville disponibles en ligne de 1801 à 1914 pour les populations orthodoxes! J’espère cependant que la mise en ligne par les archives ukrainiennes des registres de plus de 75 ans (1914-1948) sera faite pour compléter mon relevé.

Ce relevé, au-delà de permettre de retrouver plus facilement mes ancêtres m’a appris beaucoup de chose sur la société bucovinienne de l’époque. Epidémies, hiérarchies sociales, ethniques, espérance de vie, relations familiales, événements historiques sont autant d’informations qui apparaissent grâce aux entrées d’une indexation. C’est donc un premier portrait d’une ville de Bucovine que je vais vous présenter aujourd’hui.

1. Vyzhnytsia, une ville multiethnique à l’image de la Bucovine:

Vyzhnytsia au troisième recensement militaire austro-hongrois (1869-1887). Source: mapire.eu

Vyzhnytsia, Wyznica, Wiznitz, Vijnița autant de nom pour désigner une même localité. Ancienne ville de la principauté de Moldavie, elle est intégrée à l’Empire austro-hongrois après 1774 comme le reste de la Bucovine. Jusqu’en 1786, la Bucovine est administrée militairement avant d’être rattaché à la Galicie voisine. Ce n’est qu’en 1861 que la région est élevée au rang de duché de Bucovine, séparée de la Galicie jusqu’à son rattachement à la Grande Roumanie en 1918.

Cette histoire complexe fait que le territoire est devenu multiethnique. Peuplé majoritairement d’ukrainiens (ruthènes), roumains et juifs avant 1774, le rattachement à l’Empire verra affluer des populations polonaises, allemandes, ukrainiennes des territoires voisins.

Ce multiculturalisme se voit déjà par la tenue des registres paroissiaux: avant 1840, les registres étaient tenus en roumain cyrillique avec beaucoup de « slavismes ». A partir de 1874, les écrits sont en roumain latin. Les entrées (informations) sont quant à elle à la foi en allemand (langue de l’Empire) et en roumain. Vers la fin du 19ème siècle les registres sont tenus en russe avec parfois des influences ukrainiennes.

https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CS9T-99X6-B?i=219&cat=1118232 Vyzhnytsia (1801-1853)

Entrée d’un registre de 1831 on peut lire: Нȣмеле ши порекла ръпосатȣлȣй ши локȣл де оунде єсте. Transcription en roumain: Numele și porecla răposatului și locul de unde ieste. Transcription et traduction en roumain moderne: Numele și porecla răposatului și locul de unde este (prénom et nom du défunt et d’où est-il).

La ligne écrite: СемеѠн син Василя Микитюка дин Вижница. Transcription en roumain: Semeon sin Vasilia Michitiuca din Vijnița. Transcription et traduction en roumain moderne: Semeon fiul lui Vasilie Michitiuc din Vijnița (Simeon fils de Vasilie Michitiuc de Vyzhnytsia). On notera l’utilisation du mot sin au lieu de fiul , il s’agit d’un slavisme de la langue roumaine utilisée au cours du 19ème siècle et auparavant et remplacé au fur et à mesure par son équivalent latin.

De ce fait, j’ai retrouvé dans les registres de décès de la paroisse orthodoxe cette diversité ethnique: les noms de famille en -IUC, -KO, -OVICI traditionnellement ukrainien côtoient ceux en -SKI associés au polonais. De plus il existe aussi des noms roumains comme MOLDOVAN ou SLOBODEAN ou encore le décès d’une CUZA, nom de famille notable de Moldavie.

A cela s’ajoute les populations allemandes qui au fil du temps prennent le pouvoir dans la province. Par exemple la famille DE CAPRI, VON KAPRI illustre ce cas. Installée dans la ville probablement pendant la seconde moitié du 19ème siècle, ses membres sont présentés comme étant barons. Il faut au contraire remonter avant 1845 pour trouver la mention de notables locaux ukrainiens ou roumains. C’est le cas de Vasilie GRIBOVICI décédé en 1838 et cité comme administrateur de la ville et ses enfants cités comme propriétaires. Ou encore d’Anna FLONDOR, fille George FLONDOR, noble homme de Moldavie, décédée à l’âge de 13 ans en 1843. La mention de notable allemand/autrichien au sein des registres orthodoxes questionne. Se sont ils convertis à l’orthodoxie pour mieux s’intégrer au sein de la communauté? Ou s’agit-il d’une mention du prêtre de la mort d’un notable?

https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CS9T-99X8-F?i=244&cat=1118232 Vyzhnytsia (1801-1853)

Transcription: 1843, 6 Jȣнiи, 1. Анна доч. ГеѠрг и в Флондор дин Бассарабиа. боєр

Transcription en roumain: 1843, 6 Junii, 1. Anna doci Georgii v Flondor din Basarabia boier.

Transcription en roumain moderne et traduction: 1843, 6 iunie, Ana fiica lui George v. (vel ou von) Flondor din Basarabia, boier. (6 juin 1843, Ana fille de George v. Flondor de Bessarabie, noble). On notera encore l’emploie du slavisme doci et non pas fiica.

On retrouve également une part importante des immigrés galiciens venus s’installer définitivement en Bucovine. Notamment des villages frontaliers de Kuty et Roztoky. Les actes de marriages sont cependant plus éloquents sur ce sujet. On peut ajouter les colons autrichiens et allemands venus s’installer pour renverser au fur et à mesure la courbe ethnique du territoire en étant défavorable aux ukrainiens (ruthènes) et roumains. Le terme colonisation peut sembler fort, mais c’est bien celui-ci qui était utilisé par l’administration impériale. Les populations allemandes sont en revanche plus présentes dans les autres registres paroissiaux chrétiens, tout comme les polonais au sein des registres catholiques.

A l’inverse, les postes d’enseignement et religieux restent aux mains des notables locaux. Ainsi, en 1836 décède Alexei COTOROŞAN (Kotoroshan), prêtre de la ville. Les postes d’enseignants sont assurés par Nicolai TERNOVIŢCHI (Ternovitski). Cependant, la majorité de la population reste paysanne. Quelques métiers de l’artisanat et du commerce sont cependant cités: charpentier, drapier, fourreur, marchant, cordonnier qui illustre l’environnement rural dans lequel s’est développée la ville.

Enfin, une dernière catégorie de population mérite d’être soulignée, celle des tsiganes. Seulement deux décès soulignent l’appartenance à cette communauté. Un d’un Dmitro sans nom de famille en 1810, le second de Iuri IUCINIVIRON en 1838. La distinction faite souligne que les tsiganes étaient « à part » de la société bucovinienne de l’époque. Pour rappel, ces derniers étaient esclaves en Moldavie et Valachie (sud de la Roumanie) jusqu’en 1864. Il serait donc intéressant de savoir si l’Empire austro-hongrois a aboli l’esclavage des Rroms plus tôt au sein de son nouveau Duché.

https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CS9T-99XJ-1?i=183&cat=1118232 Vyzhnytsia (1801-1853)

Acte de sépulture de Dmitro, tsigane étranger âgé de 70 ans.

2. Mais de quoi meurt-on?

Si on enlève les décès infantiles de moins de 1 an, la moyenne d’âge au décès est de 28 ans pour la période de 1801 à 1914. Cette moyenne prend en compte les nombreux décès à l’adolescence et pendant l’enfance. Il n’était pas rare que des familles de 10 enfants n’en n’ont que 3 qui arrivent à l’âge adulte. Les registres paroissiaux orthodoxes présentent la particularité d’indiquer la cause de décès des personnes, chose relativement rare en France! Globalement les causes principales de décès sont les suivantes: les maladies notamment la tuberculose, choléra, fièvre typhoïde. Mais aussi le froid, l’accouchement pour les femmes et la vieillesse. On trouve d’ailleurs la mention de mort de vieillesse à partir d’environ 55 ans, relativisant par rapport à l’espérance de vie actuelle dans nos sociétés. On découvre donc un monde rural fragile aux aléas de la vie, aux maladies et à la précarité des conditions de vie.

C’est là que l’indexation devient intéressante, en relevant systématiquement elle permet de mettre en avant les épidémies qui ont traversé la ville. La première et plus importante a lieu en 1866. Les registres comptabilisent 241 décès pour cette année contre 42 en 1865 et 26 en 1867. Cette année semble combiner les catastrophes: famine et choléra se suivent à partir de mai 1866. En septembre alors que le choléra fait moins de victime, c’est au tour du typhus d’entrer en scène et décimer les habitants de la ville… Il faudra attendre janvier 1867 pour que le typhus fasse sa dernière victime: Eliazar SADAGURSKI, paysan de 33 ans. Ces épidémies sont parfois un traumatisme tant elles déciment des familles entières. Ainsi entre juin et septembre 1866, la famille COZACIUC perd trois enfants (Constantin, Teodor et Anton) ainsi que le père de famille Stefan. Décédés du choléra, typhus, froid, ou problème intestinal.

https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CS9T-9JF4?i=400&cat=1118232 Vyzhnytsia (1853-1876)

Dans la dernière colonne la même inscription, tous décédés du choléra entre le 29 juillet et le 2 août 1866. 11 morts en trois jours…

L’indexation mets aussi en avant les événements historiques qui ont traversé la ville. Ainsi fin 1914, on trouve un enregistrement important de décès de soldats russes et austro-hongrois sur le territoire de la ville. On comprend donc que dès octobre 1914 (décès de Grigorie NOVRADANOV) les combats font rages dans la ville bucovinienne entre les armées tsaristes et impériales. Ce sont majoritairement des bucoviniens et galiciens qui seront envoyés en première ligne par l’Empire pour combattre sur leur terre. Les registres de décès de 1915 et 1918 devraient être riches en information et en apprendre davantage sur les conditions de vie pendant l’occupation russe. La Bucovine est une des provinces de l’Empire qui a subit d’importantes pertes durant le conflit.

Maisons détruites en 1918, source: https://www.facebook.com/groups/219297844907353/search/?q=vijnita

3. Les relations familiales

Lire entre les lignes des registres en indexant permet aussi de mettre en avant la composition des familles et de remonter de cette manière les actes. Les actes sont en général pauvres en information. Seul le nom et prénom du défunt est donné ainsi que son âge et la cause du décès. Pour les enfants, le père est indiqué comme pour les adultes célibataires. On peut avoir parfois le nom du père d’un défunt mais ce n’est pas systématique. Quant aux femmes, le strict minimum est fait! Elles sont enregistrées sous le nom d’époux et aucune information n’est donnée pour savoir sa lignée. Sachant que les registres de mariage commencent en 1841, cela a de quoi frustrer le généalogiste!

Cependant, un élément peut aider, le numéro de maison! Via ce dernier qui parfois regroupe sur les mêmes numéros les maisons de plusieurs villages (la maison 26 de Bahna sera la même dans les registres paroissiaux de Bahna et Vyzhnytsia), on peut reconstituer des familles! En effet, les recherches ont permis de constater en général que les maisons sont transmises de père en fils, et que les fils y habitent tous ensemble avec leur famille à l’âge adulte! Par exemple la maison 113 de Vyzhnytsia comprend grosso-modo 2 familles. Les IVANIUC de 1861 à 1908 avec un possible patriarche Teodor et ses enfants Mihail, Simeon, Alexei, Grigorie. Mais également la famille SERHI. C’est donc en remontant ses « successions de maison » que j’ai pu trouver parfois des ancêtres manquants! Si un frère d’un ancêtre est cité à son décès comme fils de, j’ai par cette occasion retrouvé l’ancêtre manquant!

L’indexation est donc beaucoup plus qu’un simple moyen de d’assurer de trouver toutes les informations relatives à nos ancêtres dans une commune. Et vous, avez vous appris des choses sur les lieux de vie de vos ancêtres grâce aux indexations?


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