Les recherches généalogiques nous amènent souvent sur les traces de territoires disparus, en particulier lorsque le pays d’origine de nos ancêtres, est issu de l’éclatement d’un empire. A la différence d’un royaume, l’empire se caractérise en affirmant la suprématie de son centre sur une plénitude de nationalités, religions, langues qui n’ont en commun, que l’appartenance à cette unité impériale. C’est au cours du XXe siècle que les derniers empires européens ont disparu (russe, allemand, austro-hongrois, ottoman). Via mes recherches familiales, j’ai souvent été confronté aux recherches au sein de l’Empire russe et austro-hongrois. Dans cet article, je tiens à vous présenter les bases existantes et souvent oubliées permettant de chercher à l’échelle de la double couronne austro-hongroise, permettant notamment de retrouver des ancêtres ou parentés dont les trajectoires sont inconnues.
1. L’Empire austro-hongrois, c’est quoi?
L’Empire austro-hongrois est officiellement né par le compromis de 1867. Ce dernier visait à maintenir son unité qui, face aux aspirations des différentes nationalités le constituant, et aux défaites militaires qu’il enregistrait, avait peur de voir son existence s’écourter. Via ce compromis, l’Empire autrichien, héritier direct du Saint-Empire Romain Germanique (Empire des Habsbourg), accorde une importante autonomie à la couronne hongroise.

Ce compromis divise l’empire autrichien en deux entités dont la limite est fixée par la Leitha, rivière d’Autriche. la Transleithanie, domaine de la couronne hongroise avec le Royaume de Croatie-Slavonie, jouissant d’une autonomie au sein du royaume de Hongrie (compromis de 1868); et la Cisleithanie, domaine de la couronne autrichienne. A cette organisation impériale s’ajoute en 1908 la Bosnie-Herzégovine, annexée de l’Empire ottoman et administrée militairement.
Ainsi, ceux sont pas moins de 14 pays européens actuels qui ont fait partis de cette entité au fil des siècles. Autriche, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Croatie, Italie, Roumanie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Ukraine, Pologne, et Hongrie ont tous eu une partie ou l’entièreté de leur territoire compris dans ce géant européen aujourd’hui disparu. Cette appartenance signifie aussi des trajectoires partagées. Lors de la première guerre mondiale, conflit qui sera fatal pour la survie de l’Autriche-Hongrie, des Roumains, Polonais, Hongrois ont pu combattre ensemble contre des mêmes nationalités issues d’autres empires, ou de pays indépendants. Par exemple, des Roumains transylvains (couronne de Hongrie) ont combattu le tout jeune royaume de Roumanie. Il faut donc bien comprendre qu’une partie des peuples de l’Empire se définissaient selon leur ethnie et religion, mais ne considéraient pas pour autant vivre dans un autre cadre que celui de l’Autriche-Hongrie.
Pour autant, l’Autriche-Hongrie ne mettait pas toutes les nationalités sur le même pied d’égalité. Les populations chrétiennes orientales et musulmanes étaient notamment les plus discriminées et leurs droits ont été que tardivement voir peu reconnus notamment en Transleithanie ou une politique intense de magyarisation était pratiquée par la monarchie hongroise. En Cisleithanie, la question nationale a été traitée avec davantage de concessions, reconnaissant progressivement le bilinguisme dans de nombreux domaines de la couronne impériale à la fin du 19e siècle. Cependant, les élites demeuraient chrétiennes catholiques ou protestantes, de nationalités autrichiennes, hongroises ou tchèques, polonaises et croates des deux parties de la Leitha. La lingua franca restait l’allemand, à côté du hongrois au sein de la Transleithanie avec obligation de traductions des actes adoptés. Cette question des nationalités était si cruciale dans le maintien de l’unité impériale, qu’un projet de fédéralisation de l’Empire sous le nom d’Etats-Unis d’Autriche- Hongrie fut proposé en 1906 par Aurel Popovici, politicien transylvain d’ethnie roumaine.
C’est le 31 octobre 1918 que l’Autriche-Hongrie disparait officiellement de la carte de l’Europe. La Grande guerre commençait par la déclaration de guerre de l’Autriche Hongrie à la Serbie aura été fatale et coûteuse à l’empire pluriséculaire. De ces ruines naitront de nombreux Etats européens répondant aux revendications nationales de ces anciens sujets. Indépendance de relative courte durée pour ces pays avant d’être plongés dans le traumatisme de la Seconde guerre mondiale et, pour la plupart sous la houlette de l’URSS après 1945.

2. Les bases et sites sur l’Autriche-Hongrie:
Les principales bases présentées ici se concentrent sur la Cisleithanie (domaine autrichien) et non la Transleithanie que je connais moins. Cependant, une page sur le site regroupera l’ensemble des adresses utiles.
1. Matricula online, centralisation des registres paroissiaux:

Matricula se présente comme une base regroupant de nombreux registres paroissiaux, principalement de trois pays l’Autriche, l’Allemagne, le Luxembourg et la Slovénie. Il regroupe aussi quelques registres provenant de Bosnie, Serbie, Pologne et Italie. Ainsi, il est très probable qu’un de vos ancêtres autrichiens disposent de sa paroisse numérisée via Matricula. Les actes remontent facilement jusqu’au début du 18e siècle mais sont écrits en allemand gothique sauf pendant l’entre deux guerres, début du XXe siècle où l’écriture latine comme nous la connaissons actuellement est utilisée. L’avantage de Matricula c’est qu’il présente à la fois un accès cartographique, par noms et par territoires.
Exemple d’un acte de baptême de la paroisse d’Altsimmering, à Wien.

| Baptisant, nom et prénom | Jour, mois, année de la naissance et du baptême | Lieu de naissance | Nom du nouveau-né | Enfant légitime ou non, sexe | Religion | Père | Mère | Témoin | Informations supplémentaires |
| Ignaz Pospišil, kooperator | né le 4 janvier et baptisé le 6 janvier 1915 | 8 Haideguerstrasse, 231 | Rosa Anastasia | Légitime, féminin | Catholique | Haumer Karl, catholique, gardien, né le 12/10/1887 à Wien, 11e arrondissement, fils de Josef et Anastasia née Weigelsperger | Rosalia née Muhr, catholique née le 20/10/1888 à Amaliendorf , paroisse de Langegg, district de Gmünd, fille de Johann et Juliana née Mayerhofer | Maria (non lisible) | Sage-Femme: Aloisie Flicker Date de mariage des parents: 25 mai 1913 à Wien (abréviation), XXV-91 |
2. Genteam.at, Au coeur de l’Empire:
Le second site internet se présente comme une base de donnée centralisant de nombreuses archives de l’Autriche-Hongrie. Là encore, les archives indexées sont majoritairement issues de Cisleithanie. La base nécessite une inscription gratuite avant son utilisation. Elle a pour principale avantage de permettre une recherche dans l’ensemble des archives indexées par les contributeurs de genteam.at. Ainsi, si le nom de famille de votre arbre est rare, il est assez facile de pouvoir trier les résultats. En revanche, sachant que la base de donnée renvoie majoritairement à des archives écrites en allemand dans un empire multiethnique et multiconfessionnelle. Il faut parfois faire preuve d’imagination pour retrouver un membre de la famille dont le nom a été « normalisé » par l’administration impériale.
Prenons l’exemple de Ioan ROMANIUC, oncle de mon arrière-grand-père Ioan ROMANIUC (1905-<1970). Pour bien commencer la recherche, il faut savoir que ces noms et prénoms ont été roumanisés dans une commune majoritairement ruthène (ukrainienne). De ce fait, la bonne « orthographe » en latin serait Ivan ROMANIUK.
En rentrant sur genteam.at le nom ROMANIUC, aucunes occurrences ne ressortent. En revanche, pour le nom ROMANIUK, plusieurs apparaissent, mais également pour le nom ROMANJUK dans une proportion moindre. Je décide de me rendre sur la page dédié aux Iwan ROMANIUK et plusieurs résultats sont disponibles. La plupart sont issus des Verlusliste de la Première Guerre Mondiale. les Verlusliste sont des listes faites hebdomadairement durant la durée du conflit reprenant les pertes austro-hongroises de Cisleithanie principalement. Ce qui inclus les soldats venant d’Autriche, Bohême, Bosnie-Herzégovine, Tyrol, Galicie (Bucovine incluse).

Ainsi, « mon » Ivan ROMANIUC n’est pas parmi ces « Iwan », mais parmi les « Johann », pour accéder aux informations, il suffit de cliquer sur les trois points à gauche du document.

Les informations sont alors résumées et le lien vers le document d’origine est donné. On apprend donc que Johann ROMANIUK est né en 1887 en Bucovine, à Bahna, district de Wiznitz, et qu’il est décédé le 16/30 novembre 1914. Il était caporal de réserve au sein du 24e régiment d’infanterie. J’ai donc appris le décès d’un arrière arrière grand oncle qui était absent des registres paroissiaux de Bahna/Wiznitz.



Mais les archives indexées par genteam.at ne se limitent pas aux Verluslite de la Première Guerre Mondiale. On retrouve également de nombreuses indexations généalogiques relatives à la ville de Wien, des listes de citoyens de Bratislava , des familles de Prague, la presse ancienne ou des indexations sur les communautés juives.
3. ANNO, la bibliothèque nationale autrichienne en ligne:
La bibliothèque nationale autrichienne a numérisé depuis plusieurs temps, un ensemble de titres de presse issues de l’ensemble du territoire de l’Empire. Ces titres couvrent une période de 6 siècles (16e au 21e) et sont pour la plupart en langue allemande, même si des titres dans des autres langues de l’Empire comme le tchèque, le slovaque, le hongrois ou le roumain peuvent également être rencontrés. Le principal avantage de ce catalogue réside dans le fait qu’il permet une recherche par mot clé car les journaux ont été indexés. Il permet donc parfois de retrouver des détails sur la vie de nos ancêtres que l’on ne soupçonnait pas puisqu’il inclut aussi des titres de presse régionaux, locaux.
Par exemple, l’oncle de mon arrière-grand-père Ioan ROMANIUC, Ioan MEDENIUC est décédé selon les registres paroissiaux de Vyzhnytsya par pendaison le 21/04//06/07/1912. En cherchant le nom MEDENIUK sur l’ANNO, on retrouve une occurrence au sein du Czernowitzer Tagblatt du 21 juillet 1912.

« Czernowitz, Kleine nachrichten aus der Provinz. Um 4 d. gegen 6 uhr abends hat sich der 51. Lebensjache stehende Iwan Medeniuc des Wasil aus Bahna in seiner Wohnung durch Erhängen entleibt. »
« Tchernivtsi, Petites nouvelles de la Province. Le 4 mars, vers 6 heures du soir, Ivan Medeniuc, 51 ans, de Vasil, de Bahna, s’est suicidé par pendaison dans son logement.«

L’acte de sépulture de Ioan Medeniuc, mentionnant sa mort par pendaison (Повесился). https://www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CSSC-NSPY-4?cat=1118232
Comme pour genteam.at, il est important de chercher en adaptant l’orthographe du nom a la norme allemande. Des filtres peuvent également être ajoutés pour cibler une période, des titres de presse, des langues, afin de pouvoir trier sur l’ensemble de l’empire les informations recherchées.
3. Conclusion:
Etudier les changements de frontières et les constructions des Etats où nos ancêtres ont vécu est donc important à la fois pour connaître les conditions sociétales dans lesquelles ils ont vécu, mais aussi pour faciliter la recherche et identifier les dépôts d’archives susceptibles de nous intéresser durant notre enquête familiale. Ces quelques sites présentés peuvent sembler modestes, mais ils rejoindront bientôt une page dédié sur le blog sur l’ensemble des ressources disponibles pour l’Empire disparu des Habsbourg!
J.D
