Mars 1906, alors que la France se relève à peine de la catastrophe de Courrières dont le nombre de victimes ne cesse de croitre, les habitants du Boulonnais apprennent avec stupeur, que le 19 mars, Céline LEROY, servante originaire d’Hubersent est décédée mystérieusement selon les déclarations de Henri LACROIX, présent au moment de sa mort. Il faudra peu de temps pour se rendre compte que cette affaire cache un terrible meurtre dont l’accusé principal se révèle être le cousin de Vital MERLOT, grand-père de mon grand-père!
Cet homme, dont la vie s’entremêle avec le monde judiciaire, décèdera à Cayenne, déporté à vie, pour ce terrible acte tandis que Céline LEROY dont la vie a été ôtée à seulement 21 ans, laissera une famille endeuillée dont sa fille qui grandira sans elle. Aujourd’hui, voici le premier volet judiciaire dans mon histoire familiale. Il permettre d’aborder les archives judiciaires mais aussi les recherches sur les faits-divers et crimes en généalogie.
Aux origines généalogiques:
Commençons par le meurtrier. Henri Emile Alexandre LACROIX né le 1er octobre 1878 à Hubersent. Cadet de Daniel Hippolyte Bernard LACROIX (1855-) et Marie Henriette Elisabeth DUHAMEL (1855-1921), tante maternelle de Louis Vital Adélard MERLOT (1872-1954) mon AAGP via sa mère Marie Catherine DUHAMEL (1846-1912). Le jeune Henri grandit dans une famille de domestiques. Son père, vétéran de la guerre contre la Prusse de 1870-1871, exerce en outre le métier de cerclier. Du côté de ce dernier, on y trouve également des ancêtres communs à la 5e génération avec mes autres lignées. La famille vit successivement à Hubersent (1878), avant de s’installer à Tingry (1879-1886) puis finalement à Lacres à partir de 1888. Les trois villages sont frontaliers et sont situés au sud de Boulogne.
On retrouve la première mention d’Henri à l’âge adulte lors de son recrutement militaire. On y apprend qu’il exerce la profession de valet de charrue et qu’il dispose d’une instruction primaire plus développée (degré 3). En 1900, il déménage pour Boulogne, rue des Pipots non loin de la haute ville. Cette fiche ne mentionne rien d’anormal si ce n’est sa condamnation de 1906 qui l’exclu de l’armée pour les exclus coloniaux. Son certificat de bonne conduite lui a été accordé. On y découvre également un jeune homme assez grand pour son époque (1m72). La presse confirme cette carrure de « grand gaillard, bien bâti, et d’un aspect plutôt sympathique ». Pour autant, son matricule de bagnard le décrira comme une personne connue dans son village pour sa passion pour la boisson, avec un physique marqué par de nombreuses cicatrices, absentes lors de son engagement militaire.
Concernant Marie Louise Célina LEROY, dite Céline LEROY. Elle nait le 14 avril 1884 aussi à Hubersent, village duquel la famille ne déménagera pas. Fille cadette d’Honoré Jules Eugène LEROY (1861-1914), journalier et cordonnier, et de Marie Christine Célina FOURRIER (1860-). Du fait de son ancrage dans les campagnes du Boulonnais, on trouve aussi des ancêtres communs entre Céline LEROY et moi-même. Parmi les ancêtres les plus proches, on peut citer le couple formé par Jean Marie Isidore FOURRIER (1764-1834) et Marie Catherine DUHAMEL (1765-1837), ou encore celui d’Etienne Joachim LEROY (1718-1780) et de Marie Madeleine DUBOIS (1726-1796). D’après la presse, Céline était » « blonde, d’une physionomie agréable et d’un caractère enjoué […] estimée de ses proches et ses maitres ».

On retrouve Céline dans les archives en 1904. On y apprend que le 19 juin, elle donne naissance dans la maison familiale située Longue Rue, à une petite fille nommée Germaine Amicie Sylvanie d’un père inconnu. L’identité de ce père donnera par ailleurs lieu à de nombreuses spéculations dans la presse relatant son assassinat. On sait également qu’elle a travaillé pour Mme. LEGAY à Neufchâtel en tant que servante, avant d’être employée courant 1906, au service d’Alfred Louis LEVASSEUR, tripier, domicilié 164 Rue Nationale à Boulogne. Ce second emploie oblige Céline à effectuer des trajets fréquents entre la résidence familiale située à Hubersent, et son lieu de travail à Boulogne notamment le dimanche pour son jour de congé. Pour s’y rendre, deux solutions se présentaient à elle.
En effet, depuis 1848, Boulogne est relié à la ligne de chemin de fer de Longueau passant par Amiens et Neufchâtel, existant toujours. La seconde ligne est celle allant de Boulogne à Saint-Omer et passant par Samer. Ouverte en 1874, elle fermera entre 1959-1968. Ainsi, en habitant Hubersent, Céline devait se rendre soit à Neufchâtel ou à Samer pour rejoindre la gare et atteindre ensuite Boulogne. le village est relié par deux routes départementales existant encore de nos jours, respectivement connues sous le nom de D113 et D901. Les deux villes sont situées respectivement à 2h à pied du village, dans l’hypothèse d’absence de moyens de locomotion pour Céline. Ces précisions logistiques se révèlent cruciales pour comprendre les conditions dans lesquelles au petit matin du 19 mars, Céline sera retrouvée morte au Mont de Niembourg à Halinghen.


19 mars 1906, assassinat de Céline LEROY:
C’est le 19 mars 1906, à 18h, que deux amis de Céline LEROY, Philogone GOBERT et Eugène DUPEND viennent déclarer auprès de la mairie d’Halinghen, le décès de Céline, le matin même à 9h. Son décès à eu lieu sur la route départementale 113 existante encore de nos jours, et qui passe par Halinghen, via le lieu-dit de Niembourg. Niembourg, hameau d’Halinghen se situe à l’ouest du bourg principal. Au sud à environ 1km, en suivant la route départementale 113, se trouve le village d’Hubersent dont est originaire Céline. Au nord à environ 2km , la route rejoint Neufchâtel dont se trouve une des gares qui dessert Boulogne.

Le décès de Céline est pourtant déclaré le matin même par Henri LACROIX à la caserne de Neufchâtel auprès du gendarme RAMON qui, selon le Grand Echo du Nord était de garde du fait que ses collègues étaient partis soutenir les mineurs en grève. Tout de suite, la déclaration de LACROIX sème le doute. Selon ses dires, Céline se serait suicidée devant lui en utilisant son propre couteau, mais il relate aussi qu’il l’aurait aidée à s’achever en portant le coup de grâce à son amie. Ses changements de déclarations amènent le gendarme à mettre en état d’arrestation Henri LACROIX. Prévenu à 14h, le parquet constitué de M. BERGIER, juge d’instruction; M. DEFONTAINE, procureur de la République; M. DESEILLE, médecin légiste et M. BAELLIN, commis greffier arrivèrent à Neufchâtel à 17h de l’après-midi. Là encore, les déclarations troubles et l’autopsie attestèrent sans équivoque que la thèse de l’accident n’était pas possible. En effet, au procès de LACROIX du 3 juillet 1906, le médecin légiste déclare que d’une part la violence de la plaie ne peut-être le fruit de la force « d’une femme » ni d’un acte de suicide. De plus, les gants portés par Céline au moment de son décès « ne portent pas la moindre trace de sang« , elle n’a pu donc tenir le couteau pour se suicider. D’autant plus qu’en déclarant la mort de « son amie » à la caserne de Neufchâtel, Henri LACROIX s’est lui-même trahit en déclarant « je viens de tuer ma bonne amie ».
Les « motifs » du meurtre:
En moins de deux jours, la presse régionale s’empare de l’affaire, et une véritable enquête est menée par certains journalistes dont ceux du Grand Echo du Nord, « ancêtre » de la Voix du Nord et ceux du Mémorial artésien. L’enquête cherche à comprendre les « motifs » du meurtrier même si en aucun cas un tel acte ne peut-être justifié. Selon la presse, il en ressort que Céline aurait refusé à plusieurs reprises les avances d’Henri qu’elle connaissait depuis 1 an. Ce dernier se montra très assistant et envoyant une lettre à Céline. Cette lettre disparue au moment du procès, contenait vraisemblablement des menaces pour obliger la jeune fille à épouser Henri. Son comportement plus qu’inquiétant ne s’arrêta pas là. La vieille du meurtre, l’assassin avait eu vent que Céline était rentrée chez ses parents à Hubersent. C’est donc « naturellement » qu’Henri décida de s’y rendre et de la trouver! L’ayant croisé au cabaret FOURNIER, Céline décida de rentrer chez ses parents et de les informer « qu’elle ne voulait plus revoir LACROIX ». Ce dernier en avait décidé autrement et s’introduit dans la maison des LEROY, dans la chambre à coucher des sœurs Céline et Gabrielle pour encore réitérer ses menaces dans un language fleurie en menaçant de la « coquer » dont le sens selon les partis oscille entre violer et tuer…. Le soir tombé, Henri décida de dormir dans une grange non loin de sa victime.

Le lendemain matin, Céline plus qu’inquiète demanda à sa mère de l’accompagner jusqu’au bois pour rejoindre Boulogne par Samer et non Neufchâtel. Elle demanda aussi à son père de retenir le plus possible Henri LACROIX pour arriver à bonne destination. Sa mère la laissa vers 8h15, et LACROIX n’avait pu être retenu que quelques minutes par son père. Les circonstances exactes du décès sont inconnus, mais LACROIX probablement face à un nouveau refus de la part de Céline, décida de lui trancher la gorge avec un couteau qu’il avait sur lui, avant d’essayer de maquiller son crime en suicide. On ne sait cependant pas si le changement de direction de Céline morte sur la route de Neufchâtel et non de Samer, était un choix de dernières minutes ou une contrainte imposée par son meurtrier.
L’émoi dans la population et la condamnation
Aussitôt l’événement appris, la population ne contente pas sa colère, LACROIX est injurié et roué de coup par les habitants du Boulonnais notamment à Halinghen, près de la maison WASSELIN, et à son arrivée à Boulogne le soir pour être écroué, rue de l’oratoire, au château prison de Boulogne. Il faut dire que le calme des campagnes se retrouvent bouleversé par un terrible drame, où tout le monde se connait, conjuré à une atmosphère déjà dramatique par la catastrophe de Courrières. Ce meurtre est l’événement de trop. Son procès se tient finalement le 3 juillet 1906, le même jour qu’un Jean-Baptiste LEBLANC accusé d’incendie volontaire à Wancourt, mais qui sera acquitté. Pour Henri LACROIX, le jugement sera tout autre. Le Procureur de la République, M. MOURON affirme que cette affaire ouvre « la série rouge, et qu’avec elle on aborde le défilé des meurtres commis par des homme sur des femmes, meurtres pour lesquels il demande une répression sévère ». Le parquet écarte aussi la peine capitale, mais demande à ce que ce crime soit sévèrement puni. De plus, la défense de LACROIX, M. MICHAUX plaide pour un acquittement en restant sur la version du suicide qui ne condamne pas les « complices du suicide ».
Finalement, « La Cour condamne LACROIX à douze années de travaux forcées » auquel LACROIX rétorque par un recours en cassation. Cette condamnation signifie la fin de sa vie d’avant. En effet, une condamnation supérieure à 8 ans oblige le condamné à une « déportation à vie » au bagne, avec impossibilité de retour en métropole, ce qui sera le cas pour Henri LACROIX. Ce recours, ayant de minces chances de réussite, était sa seule chance de rester sur le territoire métropolitain. Ainsi, le 19 novembre il est écroué avant d’embarquer le 21 décembre 1906 sur la Loire en direction de Cayenne en Guyane, dernier lieu de vie.
J.D
