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Que le divorce soit! Et le divorce fut.


Des évènements familiaux que l’on peut trouver au cours de nos recherches, le divorce en est un probable et parfois fréquent. Officialisé en 1792 pendant la Révolution française, il sera interdit en 1816 à la Restauration avant d’être rétabli de nouveau en 1884. Il faudra alors attendre plus de 90 ans en 1975 pour que les causes de ce dernier soient élargies. Mon arbre en comporte trois. Deux prononcés sous le régime restauré de 1884, et un sous le régime révolutionnaire. C’est ce dernier que je vais vous présenter. Fait intéressant, le jugement a été totalement transcript dans le registre de l’état civil, permettant de rendre compte des causes et de la procédure du divorce.

Elément de contexte: la loi du 20 septembre 1792:

http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb37235928c

Peu de temps après l’instauration de la République française en août 1792, l’Assemblée nationale législative prend les premières mesures pour républicaniser le système administratif du pays. C’est à partir de la loi du 20 septembre 1792 que l’état civil est mis en place. Adieu les enregistrements des baptêmes, mariages et sépultures comme actes principaux d’identité des individus, et bonjour aux actes de naissances, mariages et décès. Dans une même logique, le divorce est institué. Interdit sous l’Ancien Régime malgré des formes de séparations reconnues selon les coutumes des provinces et difficile à prononcer, sa légalisation va représenter une véritable avancée juridique et sociale en France puisque pour la première fois il sera possible officiellement de mettre fin au vœu sacré du mariage. Pour cela sept motifs sont valables selon l’annexe I de la loi:

  •  » sur la démence, la folie ou la fureur de l’un des époux ».
  •  » la condamnation de l’un d’eux à des peines afflictives ou infamantes ».
  •  » les crimes, sévices ou injures graves de l’un envers l’autre ».
  •  » le dérèglement de mœurs notoire ».
  •  » l’abandon de la femme par le mari ou du mari par la femme, pendant deux ans au moins ».
  •  » l’absence de l’un d’eux, sans nouvelles, au moins pendant cinq ans ».
  •  » l’émigration dans les cas prévus par les lois, notamment par le décret du 8 avril 1792″.

Deux modes sont également reconnus pour pouvoir le prononcer. Le consentement mutuel et la demande d’un des conjoints pour simple cause d’incompatibilité. Les deux conjoints peuvent se remarier qu’un an après la date de prononciation du divorce mais en cas de remariage en dessous de ce délai, le conjoint peut demander l’entrée en vigueur immédiate du divorce. Concernant les enfants, sauf procédure contraire indiquée et dans le cas d’un divorce par consentement mutuel, ils sont confiés à la mère. Après l’âge de sept ans, les garçon sont quant à eux confiés au père. Il s’agit donc d’une loi qui reconnait des droits et libertés aux femmes. C’est ce dernier point qui explique sa suppression sous la restauration en 1816, par peur de l’effritement des valeurs de la famille traditionnelle patriarcale, centrée autour de la figure du chef de famille, le père.

Les parties du divorce: Jean-Baptiste Vincent SIABAS et Isabelle WATTEL

Les deux parties sont boulonnais de naissance. Ils s’unissent le 11 janvier 1773 à la paroisse Saint-Nicolas en la basse ville de Boulogne-sur-Mer. C’est dans cette même paroisse que Jean-Baptiste Vincent SIABAS né un 21 août 1753. Fils de Vincent Vérand, tailleur d’habits et de Marie Françoise HAUDIAU, il est originaire d’une famille de soldats de l’Ancien Régime. Boulogne était en effet une place forte du royaume et sa position stratégique face à l’Angleterre explique la présence de troupes sur son sol tout au long de la monarchie. Son grand-père paternel Veran CHABAS était originaire de Cavaillon dans le Vaucluse. Il est admis à l’hôtel des invalides pour cause d’une « decente complette du coté gauche » et décède dans sa chambre à Boulogne en 1742. Le changement de nom quoi que surprenant peut s’expliquer par une tentative de francisation de ce dernier. En effet, on sait que le picard régional tend à transformer les « s » et « c » en « ch » (on trouve parfois chimetière ou Leurenche dans les registres paroissiaux). Il est donc tout à fait possible que le curé a voulu « aplatir » ce nom pour lui rendre une consonance plus standardisée à un nom qui en fait n’avait rien à voir avec la langue locale! Son grand-père maternel Jean-Baptiste AUDIOT était aussi soldat du régiment de la Fère originaire de Durtal en Anjou. Il se marie à Dunkerque en 1719 avec une boulonnaise Marie Françoise DIEUSET et décède sur Calais en 1732.

« Le vingt deux aoust je doien et curé de cette paroisse ai baptisé un fils né la veille à quatre heures de l’après-midi en légitime mariage de Vincent SIABAS garçon tailleur et de Marie Françoise HAURION ses père et mère de cette paroisse auquel on a imposé le nom Jean Baptiste Vincent le parain a eté Jean Baptiste BACLIN qui a déclaré ne scavoir écrire et maraine Marie Marguerite Rose CERY »

Isabelle née elle sous le nom de Suzanne Elisabeth un 1er septembre 1750 dans la paroisse Saint-Nicolas de la ville. Elle est fille de Louis et Anne Elizabeth DELPIERRE, deux jeunes gens issus des anciennes familles de marins de la ville avec quelques branches originaires de la Somme. A noter que sa tante, Marie Antoinette DELPIERRE (1736-1810) est ma sosa 955.

« Susanne Elizabeth fille légitime de Louis WATEL matelot et de Elizabeth DELPIERE, est née le premier septembre sur les quatre heures du matin et a eté baptisée le même jour au soir, en cette paroisse, ont été parain et maraine Nicolas FOURNI et Susanne PODVIN qui ont signé. »

De leur union, six enfants naitront entre 1770 et 1786. La famille habite rue Jacques Dumont en 1783, avec la veuve WATEL. C’est en 1776 que mon ancêtre Isabelle née. Elle est la troisième enfant du couple et porte le nom de sa défunte ainée, Isabelle Marie (1770-1772). Pourtant avant 1787, les liens du couple semblent déjà effrités comme va l’attester le jugement de divorce suivant.

« Le premier novembre je chaplain du saint nom de Jésus ai baptisé une fille née la veille à six heures du soir en légitime mariage de Jean Baptiste Siabas mattelot et de Izabelle Watté ses père et mère de cette paroisse laquelle ond a imposé le nom Izabelle le parein a été Jean Pierre MASCOT et la maraine Marie Louise DELPIERRE quï a déclaré ne —— le parein a signé.« 

La rue Jacques Dumont sur le plan du cadastre de 1808-1813 de la ville, située en face du quai. Même localisation aujourd’hui.

15 Brumaire, an III, les rouages d’un divorce.

laditte WATTEL insiste dans sa dénonciation d’adultaire de la part de son mari constatant son mariage avec lui ce qui est déjà prouvé par un nombre de rejettons sortis de cette tige ou branche adultairine et illégitime en dénonciation qui doit encore opérer et renvoy au tribunal qui en devras connaitre.

L’acte de divorce transcrit dans les registres de l’état civil de l’an III de la république à Boulogne se révèle incomplet. Toutefois il reste passionnant puisque nous apprenant des détails intéressants sur la vie de mes ancêtres. L’acte nous informe dès le début qu’il s’agit de Jean-Baptiste qui a lancé la procédure de divorce à l’encontre de son épouse en insistant qu’ils sont séparés « depuis mil sept cent quatre-vingt-sept, vieux stil, et notamment depuis plus de six mois » ce qui justifierait l’application de l’article 1 de la nouvelle loi relative au divorce. Isabelle est donc invitée à comparaître. On y apprend qu’elle demeure en l’hospice de la ville, l’hôpital Saint-Louis et décide de se faire accompagner d’Antoine POIRESTIER en qualité d’ami. Isabelle à la différence de son époux requiert le divorce pour adultère en soulignant que son mari a toujours résidé en ville depuis leur séparation de 1787.

La façade de l’ancien hôpital Saint-Louis de Boulogne, aujourd’hui université du Littoral Côte d’Opale.

Sa requête entre en opposition avec celle de son mari. En effet, Jean-Baptiste ne s’est pas présenté devant le tribunal de famille puisque selon ses dires, sa demande rentre dans les critères de divorce de l’article 1er, à savoir une séparation de plus de six mois entre les deux conjoints qui ne nécessite pas de constituer un tribunal de famille. Mais pour Isabelle, ce n’est pas le cas. Son époux a toujours résidé à Boulogne et il est de notoriété publique qu’elle « n’a jamais cessié d’habiter laditte ville de Boulogne depuis que son mari l’a chassé du foyer commun pendant lequel temps il est constant en son âme et conscience qu’elle a habitée avec lui nombre de fois« . En clair, au contraire des dires de son mari, les deux conjoints ont du vivre ensemble après 1787 malgré leur séparation! Elle demande donc encore et toujours le divorce pour adultère en constituant un tribunal de famille. A quoi Jean-Baptiste proteste en évoquant le caractère impérieux de la loi.

Cependant Jean-Baptiste commet l’erreur d’avouer qu’il avait cohabité avec son épouse. Cette porte ouverte permet à Isabelle de conclure qu’il y a un « abandon exprès » ce qui empêche de rentrer dans la procédure voulue par son mari. D’autant plus qu’Isabelle va insister sur deux points dont voici les transcriptions:

« Parce que ce n’est point laditte WATTEL qui a abandonné le domicile commun, mais son mari qui l’a contraint d’en sortir puisque comme elle l’articule et m’est en fait, et se soumet de prouver, il l’a inhumainement et pour vivre plus à son aise avec une autre femme de laquelle il a plusieurs enfants malgrés les liens du mariage qui l’unissent avec sa femme seule chassée de chez lui avec trois enfants, que la famille d’elle WATELLE a été obligé de recoeuillir, d’autant qu’il ne l’a laissée rien emporter, ce qui déjà nécessite un renvoy au tribunal qui en devrai connoitre. »

« Parce que le défaut de nouvelles ne peut point ici opérai attendu que SIABASSE a toujours été a même d’avoir des nouvelles d’elles WATTEL, puiscequ’elle n’a jamais quittée Boulogne qu’il pourra et a pu la voir toujours, et que même comme elle l’a dit, comme le dit SIABASSE l’a avoué, quoi qu’ensuite il s’en fait démenti, il l’a vu plusieurs fois depuis l’expultion qu’il eu avoit faite de chez lui que conséquemment les propres armes dudit SIABASSE retourne contre lui, plus laditte WATTEL insiste dans sa dénonciation d’adultaire de la part de son mari constatant son mariage avec lui ce qui est déjà prouvé par un nombre de rejettons sortis de cette tige ou branche adultairine et illégitime en dénonciation qui doit encore opérer et renvoy au tribunal qui en devras connaitre. »

Les formules peuvent paraitre déconcertantes (rejettons sortis de cette tige ou branche) mais les faits sont là. Jean-Baptiste est coupable d’adultère et d’abandon de domicile empêchant donc de prononcer le divorce pour cause d’absence. Isabelle appuie davantage son propos en citant les témoins présents qui peuvent attester des faits et que « ledit SIABASSE exister avec une étrangère qui a souillé le lit nuptiale« . Son mari n’hésite donc pas selon elle à faire « abus de forme« , d’une « imposture » d’un mariage duquel sont issus des « fruits légitimes », leurs trois enfants, « lorsque son mari ne peut présenter de son côté que des fruits adultairises ».

Cet adultère est le fruit de la relation de Jean-Baptiste avec Marie Jeanne Antoinette HENIN. Issue d’une famille de marin, les deux amants auront trois enfants nés pendant le premier mariage de Jean-Baptiste. Respectivement en 1789, 1790 et 1793. Une fois le divorce prononcé, ils se marient le 10 germinal an III (30 mars 1795). Sur son second mariage, Jean-Baptiste est déclaré veuf. Isabelle étant hospitalisée au moment du divorce, elle expirera quelques temps après. Quant à Jean-Baptiste, il décédera peu de temps après le 16 frimaire an V (6 décembre 1796). Fait étonnant ou non, les enfants des deux unions resteront en contact. Au mariage de Catherine Charlotte (1790-1863) en 1808, fille de la seconde union SIABAS. On retrouve Jacques François Marie PODEVIN (1777-1844) époux de mon ancêtre Isabelle SIABAS (1776-1835) comme témoin.

Au delà de fournir du caractère et d’apprendre les personnalités de mes aïeux, cet acte nous apprends surtout comment une époque a révolutionné les mœurs. De la femme simple mère de famille, la République a commencé à lui accorder les droits d’une citoyenne. Le mariage n’est plus que l’affaire de l’homme et la femme y avait aussi son mot à dire. Sa voix comptait autant que celle de son conjoint et les torts de ce dernier pouvaient être reconnus, chose inédite jusqu’alors en France.

J.D

Sources:

  • Archives départementales du Pas-de-Calais

5 MIR 160/32 283-289/978, divorce SIABASSE-WATTEL

5 MIR 160/3/31 1019/1189, baptême de Jean-Baptiste Vincent SIABAS

5 MIR 160/3/31 847/1189, baptême de Suzanne Elizabeth WATTEL

5 MIR 160/3/31 945/1189, baptême de Izabelle SIABAS

3 P 160/84 Cadastre de 1808-1813, Section D, Boulogne-sur-Mer

  • Tableau: Hogarth, W. Marriage A-la-Mode: The Settlement

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